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La Bataille des Blagues : Quand TPMP transforme l’humour noir en phénomène de société

Dans le paysage audiovisuel français, peu d’émissions suscitent autant de ferveur et de débats que “Touche pas à mon poste !”. C’est un Colisée moderne où, chaque soir, les chroniqueurs descendent dans l’arène sous l’œil du public et de leur empereur, Cyril Hanouna. Mais un segment particulier, une simple joute verbale intitulée “Qui a la meilleure blague ?”, transcende le simple divertissement pour devenir un véritable cas d’étude sociologique. Avec plus de 15 millions de vues, cette séquence de près de 30 minutes n’est pas un succès anodin. C’est le symptôme d’un besoin collectif, une catharsis nationale par le rire gras, le tabou et l’absurde.

Nous avons analysé ce phénomène, plongeant dans une séquence où l’humour, dans ce qu’il a de plus cru et de plus dérangeant, est roi.

L’Arène de la “Gauloiserie”

Le concept est d’une simplicité biblique : chacun raconte une blague, le public rit ou non. Mais sur le plateau de TPMP, rien n’est jamais simple. Il ne s’agit pas de sortir une blague Carambar. Il s’agit de tester les limites. L’émission, par sa nature même, est une zone de non-droit humoristique, un espace sécurisé où le “politiquement correct” est laissé au vestiaire.

La vidéo démarre fort. Une blague sur la maternité, un bébé, et une chute sexuelle crue. Le ton est donné. Nous n’allons pas faire dans la dentelle. Ce qui frappe d’emblée, c’est l’absence totale de filtre. Les chroniqueurs, transformés en comiques de fin de banquet, s’observent, se défient. Le rire n’est pas seulement une réaction, il est une arme. Faire rire l’autre, c’est le dominer. Voir sa propre blague “tomber à plat” est une petite mort sociale, immédiatement sanctionnée par les moqueries du reste de la table.

La Trilogie Taboue : Humour Noir, Sexe et Stéréotypes

Ce qui rend cette séquence si fascinante et si “partageable”, c’est qu’elle explore sans honte les trois piliers de l’humour interdit.

D’abord, l’humour noir. Il est le roi de la soirée. La longue blague sur le chauffeur de bus et les tétraplégiques est un chef-d’œuvre de tension. Elle est moralement répréhensible, malaisante, et pourtant, la construction narrative, la montée en puissance du chant “Chauffeur, si t’es champion…” crée une attente insoutenable. La chute, terrible, provoque un rire coupable, presque douloureux. C’est un rire qui nous rappelle notre propre humanité imparfaite. De même, la blague sur l’asile psychiatrique, le fou qui sauve son ami de la noyade avant de le pendre “pour qu’il sèche”, touche à l’absurde le plus sombre. La palme revient sans doute à l’histoire de l’enterrement de la belle-mère qui “ne voulait pas”, une blague sur la nécrophilie racontée dans un éclat de rire général.

Ensuite, l’humour “grivois” ou “en dessous de la ceinture”. Il est omniprésent. De la femme qui pleure à la maternité à l’homme qui demande à sa femme de “ne pas parler” au canard qu’il tient dans ses bras, en passant par l’homme qui confond les initiales “B.B.” (Brigitte Bardot) sur les fesses de sa femme avec “Bob”, l’émission renoue avec une tradition très française de “gauloiserie”. C’est l’humour de Rabelais, cru, corporel, qui ne s’excuse pas. La blague de l’homme qui juge sa femme “en 30 secondes” comme un “lapin” est un modèle de rythme et d’efficacité.

Enfin, les stéréotypes. Belges, Marseillais, Pieds-Noirs… tout le monde y passe. L’histoire du Belge et de ses deux labradors (“celui-ci est à moi… et l’autre aussi”) est un classique du genre. La blague sur le Marseillais dans le train qui ne change pas de place “parce qu’il y avait personne pour demander” joue sur des clichés régionaux avec une tendresse moqueuse. Dans une époque où la caricature est souvent vue comme une agression, TPMP la célèbre comme un folklore partagé, un code compris de tous.

La Métaphysique de la Blague Ratée

Plus intéressant encore que les blagues qui fonctionnent, il y a l’analyse de celles qui échouent. La vidéo est truffée de moments “méta” où les chroniqueurs dissèquent l’échec d’un collègue. “C’est l’intonation”, “Tu n’accompagnes pas ta chute”, “Les gens ne vont pas aussi vite que toi”. Ces instants de flottement sont cruciaux. Ils montrent que raconter une blague est un art. Ce n’est pas seulement le contenu (le “setup”) et la chute (la “punchline”) qui comptent, c’est la performance.

Le rythme, le silence avant la chute, le ton de la voix, le jeu d’acteur… tout est analysé. Un chroniqueur tente une blague sur les peintres (Van Gogh, Gauguin, Renoir) qui ne prend pas. L’analyse est immédiate : trop complexe, trop long. À l’inverse, une blague absurde sur un homme qui pêche avec un œuf dur fonctionne, non pas parce qu’elle est drôle, mais parce que le dialogue est si bien construit qu’il piège l’auditeur.

C’est une masterclass involontaire sur la mécanique du rire. Le rire est une décharge nerveuse. Pour qu’elle ait lieu, il faut créer une tension, une attente, puis la briser de manière inattendue.

Transformer la “Merde” en Or (Médiatique)

Une blague racontée par Gérard Darmon (ou du moins, qui lui est attribuée) résume parfaitement le phénomène TPMP. C’est l’histoire d’un inventeur qui prétend transformer “la merde en beurre”. Il fait visiter son usine gigantesque, montre les différentes étapes de transformation, et à la fin, présente une motte de beurre parfaite. Il invite son ami à goûter. L’ami goûte et dit : “Oui, mais… ça a quand même un goût de merde”. Et l’inventeur de répondre : “Ah bah oui.”

Cette blague est une métaphore de l’émission elle-même. TPMP prend des sujets considérés comme “sales”, tabous, ou sans intérêt (la “merde” médiatique) et, grâce à un processus de production sophistiqué (les lumières, la musique, le montage, le “conditionnement”), les transforme en un produit de divertissement de masse (le “beurre”). Et si, à la fin, le public sent encore un “goût de merde” – un sentiment de gêne, de culpabilité – la réponse est la même : “Ah bah oui.” C’est le contrat.

Ce concours de blagues n’est pas une anomalie. C’est l’essence même de “Touche pas à mon poste !”. C’est une célébration du “rire ensemble” contre la “pensée correcte”. Dans un monde aseptisé, ce besoin de rire de tout, y compris du pire, est une soupape de sécurité. Les 15 millions de vues ne sont pas 15 millions de personnes adhérant à l’humour noir ; ce sont 15 millions de clics pour un moment de régression collective, un instant où l’on s’autorise à rire de ce qui est interdit.

En fin de compte, la question “Qui a la meilleure blague ?” n’a pas d’importance. Le seul vainqueur, c’est le rire lui-même. Un rire bruyant, incontrôlable, parfois honteux, mais désespérément nécessaire.

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