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TPMP : Le Festival du “Gras” et du “Noir” qui Fait Trembler les Limites de l’Humour

Sur le petit écran français, peu d’émissions osent repousser les frontières du rire avec autant de constance que Touche pas à mon poste ! (TPMP). L’émission animée par Cyril Hanouna, véritable laboratoire de l’impertinence, se mue régulièrement en arène où les chroniqueurs, armés de leur sens de l’absurde et de leur culot, s’affrontent dans la quête de la “meilleure blague”. Loin des standards policés du divertissement, ce segment est devenu le sanctuaire d’un humour sans filtre, oscillant entre le “noir” le plus corrosif et le “gras” le plus décomplexé.

L’enjeu ? Faire rire, peu importe le prix de la bienséance ou le risque de la polémique. En analysant la séquence culte de l’émission, on découvre une cartographie des tabous français, brisés les uns après les autres au nom de la comédie. Des sujets interdits comme le handicap, la mort, la sexualité et même les stéréotypes raciaux sont abordés avec une audace qui sidère le public et crée des débats enflammés sur les réseaux sociaux. Plongeons au cœur de ce festival de l’interdit qui redéfinit, en direct, les limites de ce que nous avons le droit de rire.

 

Le Triomphe Inquiétant de l’Humour Noir

 

L’humour noir, cet art de rire de ce qui fait mal, trouve sur le plateau de TPMP une terre particulièrement fertile. Il ne s’agit pas d’un rire nerveux, mais d’un mécanisme quasi chirurgical qui force l’audience à affronter l’inconfort.

Un exemple frappant, raconté par Jean-Luc Lemoine ou un de ses acolytes, fut celui du chauffeur de bus et des tétraplégiques. La blague met en scène des passagers handicapés, attachés dans un autobus, qui, lassés de la lenteur, scandent « Chauffeur si t’es champion, appuie sur le champignon ». Le chauffeur cède à la pression, accélère et finit sa course dans un platane. La chute, glaciale, voit les passagers, les jambes encastrées dans le volant, chanter une nouvelle version de leur rengaine. L’humour frappe là où la morale recule : le rire est obtenu en inversant le drame. Cette blague, qui joue avec le handicap et l’accident mortel, est l’essence même du “noir” : elle désamorce la tragédie par l’absurde.

Un autre récit, dans la même veine, raconte l’histoire de trois survivants d’un crash d’avion (le pilote, le copilote et une hôtesse) sur une île déserte. Après s’être organisés (y compris sexuellement avec l’hôtesse, qui meurt trois mois plus tard), le pilote et le copilote décident de « continuer la vie ». Au bout de six mois, l’un des hommes se dit dégoûté par leur nouvelle routine sexuelle et propose au second de trouver une solution. La chute, sinistre et hilarante, vient du copilote qui suggère : « Le mieux, ce serait qu’on l’enterre. » La dérision ici tourne autour du cadavre et de l’épuisement physique, transformant un sujet tabou en un soulagement comique.

L’humour noir s’attaque aussi à la famille et à la mort, comme dans la blague culte où un homme, le visage ensanglanté et la chemise déchirée, explique à son ami qu’il revient de l’enterrement de sa belle-mère. Interrogé sur son état, il répond simplement : « Elle voulait pas. » Ces blagues, souvent attribuées au style corrosif de Jean-Marie Bigard (bien qu’il ne soit pas l’auteur dans cette séquence), fonctionnent parce qu’elles offrent une soupape à des angoisses et des frustrations universelles.

 

Le « Gras » Sans Complexe : Entre Puns Salaces et Anecdotes Explicites

 

En contrepoint du “noir” philosophique, le plateau de TPMP célèbre l’humour “gras” ou “salace”, celui qui s’attaque frontalement à la sexualité, à la vulgarité et aux relations conjugales.

Chantal Ladesou, avec sa gouaille inimitable et son style de conteuse de café-théâtre, excelle dans ce registre. Elle raconte par exemple l’histoire d’une femme qui dit à son mari : « Tu baises vraiment comme un lapin. » Le mari, vexé, rétorque : « Comment tu peux me juger en 30 secondes ? » La blague est simple, directe et ne vise qu’un seul objectif : le rire immédiat par l’évocation crue d’un sujet intime. De même, son anecdote sur le mari qui rentre avec un canard et insulte sa femme en se justifiant « Je te parle pas à toi ! » illustre une forme de comédie conjugale, où la grossièreté devient le moteur du gag.

Gérald Dahan a, quant à lui, livré une séquence mémorable et provocatrice, avec l’histoire de la petite Malicia. La fillette demande à sa mère ce qu’elle fait avec son père la nuit (bruits de sexe). La mère, pour la rassurer, prétend qu’elle essaye d’aplatir le ventre de son mari. Malicia conclut : « Maman, ça ne sert à rien. Le matin, ma nounou refait le soufflé ! » Le jeu de mots sur le « soufflé » et l’allusion à l’adultère est frontal, suscitant à la fois l’hilarité du plateau et le malaise que peut engendrer un tel sujet en prime time.

Mais c’est sans doute Laurent Baffie qui a réussi le coup de maître le plus subtil en mélangeant le jeu de mots salace et l’humour de situation dans la blague du plombier/jardinier. Le mari, qui refuse de réparer les choses en disant « je ne suis pas plombier », finit par demander à son voisin de l’aide. Le voisin demande une « gâterie » en échange. Le mari refuse en disant : « Je suis pâtissier. » La finesse du pun sur la gâterie (pâtisserie vs. faveur sexuelle) démontre que l’humour gras n’est pas nécessairement simpliste.

 

Les Blagues Qui Dérapent et le Jugement du Public

 

La quête du rire sans limite conduit inévitablement à des dérapages et des “flops” retentissants. L’article ne saurait ignorer les blagues qui ont traversé la ligne rouge du bon goût, parfois au-delà de la simple controverse.

Certains chroniqueurs se sont aventurés sur le terrain miné des stéréotypes. On note, par exemple, la blague très douteuse de Gérald Dahan sur les trois hommes (Américain, Français, « Rebeu ») confrontés à un crocodile. Même si la chute originale est souvent moins problématique, la version proposée ici, avec la mention du « cuisine », s’inscrit dans un stéréotype déplacé qui prouve la difficulté de manier l’humour autour des origines. Dans un autre moment, l’évocation d’un nom de famille au jeu de mots facile (« Monsieur et Madame Sapulu ont un fils, Ahmed ») a illustré à quel point l’humour de plateau peut parfois frôler l’indigence ou le mauvais esprit.

L’autre catégorie de blagues qui ne fonctionne pas est celle de l’échec pur. Cyril Hanouna lui-même a essuyé un flop magistral avec sa propre blague, l’histoire de Zidane, qui n’a ni queue ni tête et où il demande à son invité pourquoi il n’a pas changé de place. L’incompréhension générale est la véritable chute, soulignant que même dans un contexte de liberté totale, la comédie exige une mécanique rigoureuse.

Jean-Luc Lemoine a d’ailleurs consacré une blague méta à cet échec, en racontant l’histoire du client dans un bar qui, après avoir bu deux whiskies par jour pendant six mois en mémoire de son ami, demande un seul verre, puis utilise une mise en scène complexe (l’œuf coupé en carré pour la pêche) pour se faire offrir un verre par le barman. Cette blague du « Qu’est-ce que vous prenez ? » est un parfait exemple de l’intellectualisation du gag, contrastant avec la brutalité du rire gras.

L’Héritage d’une Télévision Sans Censure

 

En fin de compte, que révèle ce « festival » d’humour sans limite ? Il témoigne d’une demande persistante du public pour un rire sans entraves, un espace où la « bienséance » ne s’applique pas. TPMP, en laissant ses chroniqueurs raconter des blagues sur les accidents, l’adultère ou les plaisirs charnels avec une telle liberté, s’impose comme le dernier bastion d’une télévision qui ne craint pas l’autocensure.

Les grandes figures de l’humour, comme Laurent Baffie, avec son art de la narration et des chutes implacables (comme l’histoire de l’homme qui transforme la merde en beurre, où le seul défaut est que « ça a quand même un goût de merde, hein »), et Chantal Ladesou, avec son charme désuet et sa vulgarité assumée, prouvent que l’efficacité d’une blague réside dans son audace et son exécution.

Mais ce faisant, l’émission marche sur un fil. Chaque rire provoqué par l’humour noir ou gras est un test des limites sociales. Les chroniqueurs, à l’instar de l’homme qui tente de faire un pun sur les cours d’anglais à « cinq euros l’heure » et reçoit la réplique « If it’s between… » (jeu de mots sur « five »), prouvent que même la blague la plus audacieuse doit être dite avec la bonne intonation et le bon contexte pour ne pas tomber à plat.

En définitive, la séquence des blagues de TPMP est bien plus qu’un moment de divertissement. C’est un miroir déformant de la société, un exutoire où l’on se permet de rire de l’inavouable. L’émission restera, pour l’histoire de la télévision, le lieu où l’on a osé, quitte à choquer, pour rappeler que l’humour, quand il est bon (ou parfois très mauvais), est une force capable de faire trembler les limites les plus établies. Il suffit d’un plateau, de quelques micros, et d’une bonne dose de culot pour réécrire, blague après blague, les règles du rire public.

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