Il Achète l’Esclave Que Personne Ne Voulait aux Enchères… La Raison Va Vous Choquer Totalement

Le soleil de midi frappait impitoyablement la place du marché de Cap Français en ce jour d’août 1785, Jean-Baptiste Morau descendit de sa calèche ajustant son chapeau tricorne pour se protéger de la chaleur écrasante de Saint-Domingue. À 42 ans, il était propriétaire d’une plantation de canne à sucre prospère dans les hauteurs de Pleaine du Nord et aujourd’hui, il avait besoin d’acquérir de la main d’œuvre supplémentaire pour la récolte imminente. place grouillait d’activités.
Des marchands créoles criaient leur prix. Des esclaves domestiques accompagnaient leur maître dans leur course quotidienne. Et l’odeur acre de la sueur mêlée au parfum sucré du Rome flottait dans l’air tropicale. Jean-Baptiste connaissait bien ses enchères mensuelles. Il avait participé à des dizaines d’entre elles au cours des quinze dernières années depuis qu’il avait hérité de la plantation de son père.
Le commissaire Priseur, un homme rondouillardé Mathieu de la Croix, montait sur l’estrade en bois installé au centre de la place. Derrière lui, une file d’une vingtaine d’hommes et de femmes africains attendaient enchaîné sous la surveillance de gardiens armés. Jean-Baptiste observa la foule des acheteurs potentiels, des planteurs comme lui, quelques riches marchands de la ville cherchant des domestiques et des intermédiaires qui revendraient leur acquisition dans les colonies voisines.
Les enchères commencèrent un par un. Les esclaves furent présentés, inspectés, leurs dents examinés, leurs muscles palpés comme du bétail. Jean-Baptiste participa à plusieurs enchères, mais fut surenchéri à chaque fois. Les prix étaient inhabituellement élevés ce jour-là.
La demande dépassait l’offre depuis que plusieurs navires négriers avaient été capturé par des corses britanniques au large de la côte africaine. Après 2 heures sous le soleil brûlant, il ne restait plus qu’une personne sur l’estrade. Le commissaire priseur sembla hésiter un instant avant de faire signe au gardien. Une jeune femme fut amenée sur la plateforme.
Elle devait avoir environ ans, grande et mince, avec une posture droite, malgré les chaînes qui alourdissaient ses poignets et ses chevilles. Sa peau était d’un noir profond et ses yeux, même dans cette situation dégradante, conservaient une intensité troublante. Jean-Baptiste remarqua immédiatement quelque chose d’étrange.
Le bourdonnement constant des conversations dans la foule s’était transformé en murmure nerveux. Plusieurs planteurs qu’il connaissait personnellement. Des hommes qui n’hésitaient jamais à acquérir de nouveaux travailleurs, reculèrent visiblement. Certains détournèrent le regard, d’autres quittèrent carrément la place, prétextant des affaires urgentes.
“Messieur !” cria de la croix, sa voix trahissant une nervosité inhabituelle. “Notre dernière acquisition du jour, une femme en bonne santé, forte, capable de travailler au champ ou à la maison, qui ouvrira les enchères à 100 livres ? Silence ! Jean-Baptiste fronça les sourcils. Livre était un prix dérisoire, moins de la moitié de la valeur normal.
Quelque chose ne tournait pas rond. Il regarda autour de lui. Les visages des autres acheteurs exprimaient un mélange de peur et de dégoût. Personne ne levait la main. 80 livres ! Tenta de la croix, transpirant abondamment. Messieurs, c’est une occasion exceptionnelle. toujours rien. La femme sur l’estrade restait immobile, son regard fixe balayant la foule avec une expression indéchiffrable.
Jean-Baptiste sentit un frisson le parcourir malgré la chaleur repressante. Il y avait quelque chose dans ses yeux, une profondeur qui dépassait la simple résignation qu’il avait vu chez d’autres esclaves. 50 livres, la voix de de la croix montait d’un ton, presque désespéré.
Maintenant, messieurs, vous ne trouverez jamais une telle affaire. Pierre Baumont, un planteur voisin de Jean-Baptiste, se pencha vers lui et murmura d’une voix basse et urgente. N’y pense même pas, Morau. Cette femme est maudite. Trois propriétaires en 4 mois, tous morts dans des circonstances étranges. Jean-Baptiste se tourna vers son voisin, intrigué malgré lui.
Mort ? Comment ? Le premier s’est noyé dans un bassin d’irrigation peu profond. Le deuxième est tombé de son cheval et s’est brisé le coup. Le troisième ? Baumont baissa encore la voix. Le troisième a simplement cessé de respirer dans son sommeil. Aucune marque, aucune explication. Les médecins n’ont rien compris.
Jean-Baptiste était un homme pragmatique formé par les jésuites à Paris avant de revenir aux colonies. Il ne croyait pas aux superstitions, aux malédictions ou aux esprits. Ce genre de croyance était bon pour les esclaves illétrés et les paysans superstitieux. 20 livres cria de la croix, sa dignité professionnelle complètement abandonnée. 20 livres pour cette femme. C’était moins que le prix d’un cochon au marché.
Jean-Baptiste réfléchit rapidement. Si ces histoires de malédiction n’étaient que des coïncidences et il était convaincu qu’elle l’était, alors il était sur le point de faire l’affaire de sa vie. Une travailleuse forte pour le prix d’un sac de farine, contre l’avertissement silencieux dans les yeux de Beauaumont, contre les regards orifiés des autres planteurs, Jean-Baptiste leva la main.
“Ving livres !” dit-il d’une voix claire et ferme. Un murmure choqué parcourut la foule. De la croix sembla presque soulagé. livres, une fois, deux fois, trois fois, adjugés à mon Morau. Le marteau s’abattit sur le bois avec un bruit sec qui raisonna étrangement dans le silence tendu de la place.
Jean-Baptiste avança pour régler la transaction, ignorant les regards de pitié et de désapprobation qui le suivaient. Alors qu’il signait les papiers de propriété, il sentit le poids d’un regard sur sa nuque. Il se retourna et croisa les yeux de la femme qu’il venait d’acheter. Pour la première fois, une émotion passa sur son visage, quelque chose qui ressemblait à de la résignation ou peut-être à une forme de tristesse profonde. Puis son masque impassible se reforma.
“Comment s’appelle-t-elle ?” demanda Jean-Baptiste à de la croix. Le commissaire priseur consulta ses registres. ses mains tremblantes, tachant le papier de sueur. Adélaï, c’est le nom qu’on lui a donné lors de sa première vente. Elle vient du royaume selon les documents du négrier. Jean-Baptiste hocha la tête. Faites-la amener à Ma calèche.
Alors qu’il se dirigeait vers son véhicule, Baumont le rattrapa, posant une main sur son épaule. Tu fais une terrible erreur, mon ami. Cette femme porte le malheur. Les esclaves de ses précédents maîtres refusent de travailler près d’elle. Il l’appell Zambialoufu dans leur langue, la messagère de la mort. Jean-Baptiste écarta poliment la main de son voisin.
Je respecte ton inquiétude, Pierre, mais je ne crois pas à ces superstitions. Les coïncidences arrivent. Cette femme n’est pas différente des autres. Beaumont secouait tristement la tête. J’espère que tu as raison, mais ne dis pas que je ne t’ai pas prévenu.
Le voyage de retour vers la plantation prit trois heures sur les routes chaoteteuses qui serpentaient à travers les collines verdoyantes de la plaine du nord. Adélaïde était assis à l’arrière de la Calèche, toujours enchaîné, gardé par Thomas, un esclave de confiance qui servait Jean-Baptiste depuis 10 ans. Jean-Baptiste remarqua que même Thomas, habituellement bavard et enjoué, restait silencieux et tendu, évitant soigneusement de regarder la nouvelle acquisition.
La plantation Morau s’étendait sur 200 hectares de terre fertile. Des champs de cannes à sucre ondulaient dans la brise tropicale parsemé de palmiers et d’arbres à peins. La grande maison, une structure imposante de pierre blanche et de bois tropical, se dressait au sommet d’une colline, offrant une vue panoramique sur les champs et au loin l’océan étincelant.
À leur arrivée, Marie, la gouvernante mulatâtre qui dirigeait le personnel domestique sortit pour accueillir son maître. Son sourire chaleureux disparut immédiatement quand elle vit Adélaï descendre de la calèche. “Monsieur Morau,” dit-elle d’une voix tendue. “C’est c’est- elle la femme du marché dont tout le monde parle ?” Les nouvelles voyageaient vite parmi les esclaves, souvent plus rapidement que parmi les maîtres.
Jean-Baptiste n’était pas surpris que Marie soit déjà au courant. Oui, fais-la nettoyer et donne-lui des vêtements propres. Demain, elle commencera à travailler au champ avec l’équipe de Maurice. Marie hésita, quelque chose qu’elle faisait rarement. Monsieur, les autres, ils ne voudront pas travailler avec elle. Ils ont peur. Jean-Baptiste sentit sa patience s’amenuiser.
Alors dis-leur que leur peur est stupide. C’est juste une femme. Maintenant, fais ce que je t’ai demandé. Marie s’inclina, mais son visage trahissait son inquiétude. Elle fit signe à deux jeunes servantes qui observaient la scène depuis le Porsche.
Les filles approchèrent avec hésitation, gardant une distance prudente avec Adélaï tandis qu’elle l’escortait vers les quartiers des esclaves. Jean-Baptiste monta les marches de sa maison épuisé par la chaleur et le long voyage. Son major d’homme, Jacques, un homme âgé qui avait servi son père avant lui, l’attendait avec un verre de rô frais et de l’eau de citron vert. “Merci Jacques”, dit Jean-Baptiste en prenant le verre et en s’installant dans son fauteuil préféré sur la véranda.
La vue depuis là était magnifique au coucher du soleil, les champs dorés par la lumière déclinante. “Monsieur, commença Jacques prudemment. “Puis-je me permettre une observation ? Vois-y l’achat d’aujourd’hui. Les gens parlent, ils disent que cette femme a apporté le malheur à ses précédents maîtres. Jean-Baptiste soupira.
Toi aussi Jacques, je te croyais plus rationnel que ça. Le vieux serviteur resta silencieux un moment, fixant l’horizon. J’ai vécu longtemps, monsieur. J’ai vu beaucoup de choses dans ces îles que la raison ne peut expliquer. Les africains apportent avec eux des connaissances anciennes, des pratiques que nous ne comprenons pas. Peut-être vaut-il mieux ne pas les provoquer. Ce sont des superstitions, répondit fermement Jean-Baptiste. Rien de plus.
Cette femme travaillera comme les autres et dans quelques semaines, tout le monde aura oublié ses histoires ridicules. Mais cette nuit-là, allongé dans son lit sous la moustiquaire, écoutant le cœur nocturne des cigales et des grenouilles, Jean-Baptiste ne put s’empêcher de repenser aux yeux d’Adélaïd.
Il y avait quelque chose là-dedans qu’il n’arrivait pas à identifier. pas de la colère, pas de la peur, mais une sorte de connaissance profonde et troublante. Il chassa ses pensées de son esprit. Demain serait une journée normale. La récolte approchait et il avait des affaires bien plus importantes à régler que de s’inquiéter des superstitions d’esclaves.
Mais dans les quartiers des travailleurs, loin de la grande maison, personne ne dormait paisiblement. Les esclaves formaient de petits groupes parlant à voix basse dans leurs langues africaines, regardant nerveusement vers la petite hut où Adélaïde avait été logé. Certains dessinaient des symboles protecteurs dans la terre. D’autres murmuraient des prières à leurs dieux ancestraux.
Et dans sa hute, assise sur le sol en terre battue, Adélaï regardait par la petite fenêtre les étoiles brillantes de la nuit tropicale. Ses lèvres bougeaient silencieusement, formant des mots dans une langue que personne sur cette plantation ne comprenait. Des larmes silencieuses coulaient sur ses joues. L’aube se leva sur la plantation morau avec la régularité implacable des tropiques.
À cinque heures, la cloche sonna, appelant les esclaves au champ. Jean-Baptiste, déjà éveillé et habillé, observait depuis sa véranda le rassemblement quotidien des travailleurs. Maurice, le contemaître Mulâtre, tenait son registre. Contant les têtes et assignant les tâches du jour.
Jean-Baptiste descendit vers le point de rassemblement, voulant s’assurer personnellement qu’Adélaïde serait intégré sans incident. Quand il arriva, il remarqua immédiatement la tension dans l’air. Les esclaves, habituellement résignés et silencieux à cette heure matinale, chuchotait nerveusement entre eux. Adélaï se tenait à l’écart du groupe seul, un espace vide de plusieurs mètres autour d’elle, comme si elle était entourée d’un mur invisible.
Maurice s’approcha de Jean-Baptiste, son visage marqué par l’inquiétude. Monsieur, j’ai un problème. Les travailleurs refuse d’aller au champ avec elle. Ils disent qu’il préfèrent être fouettés plutôt que de risquer la malédiction. Jean-Baptiste sentit la colère monter en lui. C’est inacceptable.
Dis-leur qu’ils travailleront ensemble ou ils seront tous punis. Maurice hésita. Monsieur, avec tout le respect que je vous dois, si vous les forcez, ils ne travailleront pas efficacement. La récolte sera compromise. Peut-être pourriez-vous assigner la femme à un travail solitaire, le potager près de la grande maison ou la lessive.
C’était une solution pragmatique, mais Jean-Baptiste détestait l’idée de céder aux superstitions. Cependant, Maurice avait raison. La récolte de Cann approchait et il ne pouvait pas se permettre de perdre du temps en conflits inutiles. “Très bien”, concéda-t-il à Contre-cœur. Assigne-la au potager pour aujourd’hui. Mais fais savoir aux autres que cette situation est temporaire. Ils devront s’habituer à sa présence.
Maurice hocha la tête avec soulagement et alla transmettre les ordres. Adéï reçut ses instructions sans un mot, sans une expression et se dirigea vers le jardin potager situé à l’arrière de la grande maison. La journée passa sans incident notable. Jean-Baptiste s’occupa de ses affaires habituelles.
Inspection des champs, vérification des livres de compte, correspondance avec les marchands de CAP français concernant le prix du sucre et du RH. Pourtant, il se surprit à plusieurs reprises à regarder par la fenêtre de son bureau vers le potager où Adélaï travaillait.
Elle travaillait avec une efficacité tranquille, désherbant les rangs de légumes avec des mouvements précis et mesurés. Contrairement aux autres esclaves qui chantaient souvent pendant le travail pour alléger la peine, elle restait silencieuse. Vers midi, Marie lui apporta de l’eau et un peu de pain, déposant le tout à distance avant de s’éloigner rapidement.
Ce fut en fin d’après-midi que le premier incident se produisit. Jean-Baptiste était dans son bureau quand il entendit des cris venant des écuries. Il se précipita dehors pour trouver un attoupement d’esclaves et de domestiques. Au centre, Paul, le palpfrenier gisait au sol, se tordant de douleur. Son bras droit formait un angle impossible, visiblement cassé.
“Que s’est-il passé ?” demanda Jean-Baptiste en s’agenouillant près du blessé. “Le cheval, monsieur,” halta Paul, son visage luisant de sueur et de larmes. “Votre étalon tempête, il est devenu fou. Il m’a projeté contre le mur. Jean-Baptiste fronça les sourcils. Tempette était effectivement un animal spiriteux, mais Paul travaillait avec lui depuis des années sans problème.
Il regarda vers l’écurie et vit que le cheval était toujours agité, nissant et donnant des coups de sabot contre les parois de son box. “Jacques” appela-t-il, “fa fait venir le docteur Rousell de la ville pour Paul. Et toi Maurice, calme ce cheval avant qu’il ne se blesse.
Alors que l’agitation se calmait et que Paul était transporté vers l’infirmerie, Jean-Baptiste entendit des murmures parmi les esclaves assemblés. Un mot revenait constamment. Nzambi. Il se tourna brusquement vers eux. Qu’est-ce que vous dites ? Les esclaves seurent immédiatement, baissant les yeux.
Mais une vieille femme nommée Aba, qui travaillait à la plantation depuis plus de trente ans, osa parler. La femme, maître, elle était là ce matin. Elle est passée près de l’écurie. Le cheval l’a senti. C’est ce qui l’a rendu fou. Assez, rugit Jean-Baptiste. Retournez tous au travail. Je ne veux plus entendre ses absurdités. Les esclaves se dispersèrent rapidement, mais Jean-Baptiste pouvait voir dans leurs yeux qu’il n’était pas convaincu.
La peur était comme un poison, se propageant d’une personne à l’autre, contaminant tout le monde. Cette nuit-là, Jean-Baptiste eut du mal à dormir. Non pas qu’il croyait à ces histoires de malédiction, se rappelait-il fermement, mais la coïncidence le dérangeait. Les chevaux avaient des accidents, c’était malheureux mais naturel.
Néanmoins, le timing était troublant. À trois heures du matin, il fut réveillé par des coups frénétiques à sa porte. Jacques entra, une bougie à la main, son visage habituellement composé, marqué par l’urgence. Monsieur, le moulin à sucre, il y a un feu. Jean-Baptiste bondit de son lit enfilant rapidement ses vêtements.
Il courut vers le moulin situé à 200 m de la maison principale. Dans l’obscurité, il pouvait voir les flammes oranges léchant le toit de chacture. Des esclaves formaient déjà une chaîne, passant des saau du puit, mais le feu avait pris de l’ampleur. “Comment estce arrivé ?” cria Jean-Baptiste à Maurice qui dirigeait les efforts pour éteindre l’incendie.
“Ponne ne sait, monsieur, le moulin était fermé depuis le coucher du soleil. Il n’y avait aucune raison pour un feu. Pendant 2 heures, ils luttèrent contre les flammes. Finalement, grâce aux efforts combinés de tous, le feu fut maîtrisé. mais pas avant qu’une partie significative du toit ne soit détruite et qu’une partie de l’équipement ne soit endommagée.
Alors que l’aube pointait, Jean-Baptiste examinait les dégâts, calculant mentalement le coût des réparations. C’était un revers sérieux survenant juste avant la récolte. Il faudrait au moins deux semaines pour tout réparer. C’est elle, dit une voix derrière lui. Il se retourna pour voir Thomas, son cocher de confiance, qui avait aidé à combattre le feu. L’homme, habituellement loyal et pragmatique, avait un regard troublé.
Quoi ? La femme du marché, c’est elle qui a apporté ce malheur. Deux incidents en un jour, monsieur, ce n’est pas naturel. Thomas, je suis surpris de t’entendre parler ainsi, dit Jean-Baptiste sèchement. Tu es un homme éduqué, tu sais lire et écrire. Comment peux-tu croire à ces superstitions ? Thomas baissa les yeux, mais sa voix resta ferme.
J’ai parlé avec des gens de Cap Français, monsieur. Les histoires sur cette femme ne sont pas de simples rumeurs. Chaque maître qui l’a possédé a connu des malheurs, des accidents, des maladies, des incendies et tous sont morts dans les semaines suivant son acquisition. Des coïncidences, insista Jean-Baptiste, bien que sa voix manquait de sa conviction habituelle.
Tro mètres en quatre mois, monsieur, c’est beaucoup de coïncidence. Jean-Baptiste n’avait pas de réponse à cela. Il renvoya Thomas et resta seul devant les ruines fumantes du moulin, regardant le soleil se levait sur ses champs. Pour la première fois depuis l’achat d’Adélaïd, un doute s’insinua dans son esprit rationnel.
Il décida qu’il devait parler à la femme elle-même. Peut-être qu’en la confrontant directement, il pourrait dissiper ce mystère et calmer les peurs de ses esclaves. Il la trouva au potager déjà au travail malgré l’heure matinale. Elle ne leva pas les yeux à son approche, continuant à arracher les mauvaises herbes avec des mouvements méthodiques. “Adélaïde ?” dit-il.
Elle s’arrêta, se redressa lentement et le regarda enfin. la lumière du matin, il put vraiment voir son visage pour la première fois. Elle était plus jeune qu’il ne l’avait pensé initialement, probablement au début de la vingtaine. Ces tra étaient nobles, presque aristocratiques, mais ce furent ses yeux qui le frappèrent à nouveau. Cette profondeur insondable qui semblait contenir des secrets anciens.
“Tu parles français ?” demanda-t-il. Elle hoa lentement la tête. “Oui, maître.” Sa voix était basse, mélodieuse, avec un léger accent qui trahissait que ce n’était pas sa langue maternelle. “Dis-moi la vérité, que s’est-il passé avec tes précédents maîtres ?” Une émotion passa brièvement sur son visage si rapidement que Jean-Baptiste n’aurait pu dire s’il s’agissait de tristesse, de colère ou de résignation. “Ils sont morts, maître, je sais cela.
” “Mais comment ? Pourquoi ?” Elle resta silencieuse un long moment. Son regard se détournant vers l’horizon où les montagnes se dressaient, bleu dans la brume matinale. Quand elle parla enfin, sa voix était à peine plus qu’un murmure. Dans mon pays, j’étais guérisseuse. Je connaissais les plantes, les remèdes, les voies de la vie et de la mort.
Quand ils m’ont arraché à ma terre, ces connaissances sont venues avec moi. Mais ici, les gens les craignent. Il les appellent magie noire. Sorcellerie, et mes esclaves ont raison de te craindre. As-tu causé ces morts ? Elle le regarda enfin directement dans les yeux et Jean-Baptiste sentit un frisson le parcourir malgré la chaleur croissante du jour. Je n’ai tué personne, maître.
Mais parfois connaître les secrets de la mort attire la mort elle-même. C’est ce que mon peuple croit. C’est ridicule, dit Jean-Baptiste, mais sa voix manquait de conviction. Alors, pourquoi me posez-vous ces questions, maître ? Vous ne croyez pas ? Pourquoi avez-vous peur ? C’était une observation pertinente et Jean-Baptiste se sentit étrangement déstabilisé.
Il n’était pas habitué à être mis au défi par ses esclaves et certainement pas avec une telle perspicacité tranquille. Je n’ai pas peur, répondit-il fermement. Je cherche simplement à comprendre pourquoi mes esclaves sont terrifiés et pourquoi ma plantation semble frappée par une série de malchance depuis ton arrivée.
Alors, vendez-moi, maître, vendez-moi avant qu’il ne soit trop tard. Il y avait quelque chose dans la façon dont elle avait dit cela, un avertissement sincère qui glaça Jean-Baptiste jusqu’aux eaux. Mais son orgueil et sa raison se rebellèrent contre cette peur irrationnelle. Non, tu resteras ici et tu travailleras. Et ces incidents cesseront parce qu’ils ne sont que des coïncidence malheureuse, rien de plus.
Adélaï le regarda avec quelque chose qui ressemblait à de la pitié. Comme vous voudrez, maître. Elle se retourna et reprit son travail, le congédiant silencieusement. Jean-Baptiste resta là à un moment troublé par cet échange. Puis il tourna les talons et retourna vers la grande maison, déterminé à reprendre le contrôle de sa plantation et de sa vie.
Mais dans les jours suivants, les incidents continuèrent. Un orage soudain et violent détruisit une partie des jeunes plans de cannes. Trois esclaves tombèrent malades d’une fièvre mystérieuse. Une réserve de provision fut contaminée par des rats.
Chaque malheur était explicable individuellement, mais leur accumulation en si peu de temps créait un climat de peur et de suspicion croissant. Et au centre de toutes les accusations murmurées, il y avait toujours le même nom, Adélaï, la femme que personne ne voulait. Deux semaines après l’arrivée d’Adélaï, la vie à la plantation Morau était devenue un équilibre précaire.
Les travaux continuaient mais l’atmosphère était tendue, chargée d’une anxiété palpable. Les esclaves travaillaient en silence, jetant des regards nerveux par-dessus leurs épaules. Même les domestiques de la grande maison, habituellement bavards et animés, se déplaçaient avec une prudence inhabituelle.
Jean-Baptiste s’efforçait de maintenir une apparence de normalité, mais même lui ne pouvait ignorer l’accumulation de problèmes. Les réparations du moulin prenaient plus de temps que prévu. Les ouvriers tombaient malades ou se blessaient avec une fréquence alarmante. La productivité avait chuté de près de 30 %. Pire encore, les nouvelles de ces malheurs s’étaient répandues dans toute la région.
Plusieurs de ces associés commerciaux avaient envoyé des messages exprimant leurs préoccupations. Pierre Baumont lui avait rendu visite deux fois, le pressant de se débarrasser d’Adélaïd avant que les dégâts ne deviennent irréparables. Mais Jean-Baptiste était un homme tétu.
Cédé maintenant signifierait admettre qu’il avait eu tort, que les superstitions avaient raison et que la raison avait échoué. Il ne pouvait pas accepter cela. C’est alors que sa fille tomba. Cécile avait ans, une enfant vive et curieuse avec les yeux noirs de sa mère défunte. Sa mère Isabelle était morte trois ans auparavant de la fièvre jaune, laissant Jean-Baptiste élever seul leur unique enfant.
Cécile était tout pour lui, la lumière de sa vie, la raison pour laquelle il travaillait si dur pour maintenir et développer la plantation. Tout commença par une tou sèche. Au début, Jean-Baptiste n’y prêta pas attention. Les enfants toussaient. C’était normal, surtout pendant la saison des pluies. Mais en 24 heures, la tou se transforma en quelque chose de plus grave. Cécile développa une forte fièvre. Sa peau devint brûlante au toucher et elle commença à délirer.
Jean-Baptiste fit immédiatement appelé le docteur Rousell de Cap Français, le meilleur médecin de la région. Bruxell arriva en fin d’après-midi, un homme corpulent d’une cinquantaine d’années avec une réputation excellente parmi les colons français. Pendant une heure, le médecin examina Cécile, vérifiant son pou, écoutant sa respiration, inspectant sa langue et ses yeux.
Jean-Baptiste resta près du lit de sa fille, tenant sa petite main brûlante, son cœur se serrant à chaque respiration laborieuse qu’elle prenait. Finalement, Roussell se redressa un soupire lass il fit signe à Jean-Baptiste de le suivre dans le couloir hors de portée d’oreille de l’enfant.
Alors demanda Jean-Baptiste, sa voix trahissant une anxiété qu’il tentait de masquer. C’est grave, morau. La fièvre est très élevé et je ne peux pas en déterminer la cause avec certitude. Les symptômes ressemblent à ceux de la fièvre que nous avons vu il y a quelques années, celle qui a emporté votre épouse.
Le sang de Jean-Baptiste se glaça. La fièvre jaune peut-être ou quelque chose de similaire. Je vais lui administrer de la kinine et faire des saigners pour équilibrer ses humeurs. Mais je dois être honnête avec vous, mon ami.
Si c’est vraiment la fièvre jaune, les chances de survie d’un enfant de son âge sont Ne le dis pas coupa Jean-Baptiste sa voix r. Ne le dis pas. Fais tout ce que tu peux. L’argent n’est pas un problème. Roussell posa une main compatissante sur l’épaule de Jean-Baptiste. Je ferai de mon mieux, mais vous devez vous préparer. Non. Jean-Baptiste se dégagea brusquement. Elle survivra. Elle doit survivre. Les trois jours suivants furent un enfer vivant.
Malgré tous les efforts de Rousell, malgré les saigners, les cataplasmes, la kinine et tous les remèdes de la médecine moderne, l’état de cécile ne fit qu’empirer. Sa fièvre ne baissait pas. Elle perdait connaissance pendant de longues périodes, puis se réveillait en délire, appelant sa mère morte. Jean-Baptiste ne quitta pas son chevet.
Il refusa de manger, de dormir, ne faisant que veiller sur sa fille, la rafraîchissant avec des linges humides, murmurant des prières désespérées à un dieu auquel il n’était plus sûr de croire. Le docteur Rousell restait également installé dans une chambre d’amis, mais Jean-Baptiste pouvait voir dans ses yeux que le médecin perdait espoir. Les remèdes ne fonctionnaient pas.
Quelque chose dans cette maladie résistait à toutes les méthodes connues de la science médicale. La troisième nuit, alors que Cécile semblait sur le point de sombrer dans un sommeil dont elle ne se réveillerait peut-être pas, Marie entra timidement dans la chambre. “Monsieur, dit-elle doucement.
Puis-je vous parler ?” Jean-Baptiste leva vers elle un visage ravagé par l’angoisse et le manque de sommeil. “Que veux-tu, Marie ?” Elle hésita, se tordant les mains nerveusement. C’est à propos de de la femme Adélaïd. Je ne veux pas entendre parler d’elle maintenant, gronda Jean-Baptiste. S’il vous plaît, monsieur, écoutez-moi.
Je sais que vous ne croyez pas aux histoires, mais Adélaïde, avant qu’elle ne soit capturée et vendue, elle était guérisseuse dans son village. Elle connaît des remèdes que nos médecins ignorent. Rousell est le meilleur médecin de Saint-Domingue et il ne peut pas sauver votre fille, dit Marie doucement mais fermement. Vous le savez. Je le vois dans vos yeux. Qu’avez-vous à perdre en laissant à Délaï essayer ? Jean-Baptiste regarda sa fille.
Son visage était pâle et moite, ses lèvres légèrement bleutées. Sa respiration était superficielle et irrégulière. Roussell lui avait dit en privé qu’il doutait qu’elle survive à la nuit. l’orgueil, la raison, les principes. Tout cela semblait soudain insignifiant face à la possibilité de perdre ses cils.
Si cette femme, cette esclave qui l’avait acheté, malgré tous les avertissements, possédait ne serait-ce qu’une chance infime de sauver sa fille, il devait la saisir. “Fais-la venir”, dit-il enfin, sa voix à peine audible. Marie hocha la tête et sortit rapidement. 10 minutes plus tard, elle revint avec Adélaïd. L’esclave entra dans la chambre avec la même démarche calme et digne qu’elle avait toujours.
Elle s’approcha du lit et regarda Cécile longuement, son expression indéchiffrable. “Peux-tu l’aider ?” demanda Jean-Baptiste toute hostilité disparue de sa voix, remplacée par un désespoir nu. Adélaïde toucha le front de Cécile, puis son coup s’é poignet. Elle souleva doucement les paupières de l’enfant, examina sa langue.
Finalement, elle se tourna vers Jean-Baptiste. La maladie est profonde. Elle s’accroche à la vie de l’enfant comme une censue. La médecine de l’homme blanc ne peut pas l’atteindre. Et tu peux ? L’espoir dans la voix de Jean-Baptiste était douloureux à entendre. Peut-être, mais j’ai besoin de plantes de la forêt, des racines et des feuilles que vous n’utilisez pas ici. Et j’aurai besoin de temps.
Combien de temps ? Jusqu’à l’aube. Si je ne la sauve pas d’ici là, elle sera perdue de toute façon. Jean-Baptiste regarda le docteur Rousell qui avait observé l’échange depuis le coin de la chambre. Le médecin haussa les épaules avec impuissance. À ce stade morau, nous n’avons rien à perdre. Mes méthodes ont échoué. Jean-Baptiste se tourna vers Adélaïd.
“Fais ce que tu dois faire, mais si ma fille meurt, si votre fille meurt”, l’interrompit Adélaï calmement. “Ce sera parce que la maladie était trop forte, pas par ma faute, comprenez-vous ?” Il hocha la tête, trop épuisé pour argumenter : “De quoi as-tu besoin ? Envoyer quelqu’un avec moi dans la forêt.
Quelqu’un qui connaît les chemins mais qui ne me craindra pas. Je dois cueillir les plantes à la lumière de la lune pour qu’elles garde leur pouvoir. Jean-Baptiste ordonna à Thomas de l’accompagner. Le cocher hésita, mais un regard de son maître suffit à le faire obéir.
Adélaï et Thomas disparurent dans la nuit tropicale, avalé par l’obscurité dense de la forêt qui bordait la plantation. La tente fut insupportable. Jean-Baptiste resta assis près du lit de Cécile, écoutant sa respiration fragile, priant chaque minute qu’elle ne soit pas la dernière. Marie apporta du café fort et du RH, mais il toucha à peine aux deux. Roussell finit par s’endormir dans un fauteuil épuisé par trois jours de veille.
Seul Jean-Baptiste et Jacques restèrent éveillés, observant la silhouette immobile de l’enfant malade. “Vous avez fait le bon choix, monsieur”, murmura Jacques. “Parfois la sagesse ancienne voit ce que la science moderne ne peut pas.” “Je ne sais plus ce qui est sage et ce qui ne l’est pas”, répondit Jean-Baptiste amèement.
“Je sais seulement que je ne peux pas la perdre. Je ne peux pas perdre Cécile comme j’ai perdu Isabelle.” Deux heures avant l’aube, Adélaï revint. Elle portait un sac en toile rempli de plantes, de racines et d’écorses. Sans un mot, elle se dirigea vers la cuisine Marie sur ses talons. Pendant une heure, Jean-Baptiste entendit des bruits d’activité.
Le pilonnage d’herbe, l’ébullition de l’eau, des murmures en une langue africaine qu’il ne comprenait pas. Finalement, Adélaïde revint avec une tasse fumante contenant un liquide sombre et odorant. L’arôme était étrange, à la fois amè et sucré avec des notes terreuses et épicées. “Cela doit être bu lentement, quelques gouttes à la fois”, expliqua Adélaïd. “Aidez-moi à relever sa tête.
” Jean-Baptiste souleva doucement sesécant sa tête contre sa poitrine. Adélaïde porta la tasse aux lèvres de l’enfant, versant le liquide goutte à goutte dans sa bouche. Cécile grimaçassa, même dans son état semi-conscient, mais avala le remède. “Maintenant, nous devons attendre, dit Adélaï, et je dois faire encore une chose”. Elle sortit de sa poche une petite pochette en tissu.
À l’intérieur se trouvaient des graines, des petits os et ce qui ressemblait à des dents d’animal. Elle les disposa autour du lit en un motif complexe, murmurant des paroles dans sa langue natale. Bruxelles, réveillé par l’activité, observait la scène avec un mélange de curiosité professionnelle et de scepticisme évident.
C’est de la superstition, marmona-t-il. Peut-être, répondit Jean-Baptiste. Mais vos saigners et votre kinin n’ont pas fonctionné non plus. Le médecin ne put argumenter contre cela. L’aube approchait. Le ciel à l’est commençait à s’éclaircir d’un gris perle. Jean-Baptiste n’avait jamais vécu une nuit aussi longue, chaque minute s’étirant comme une éternité.
Puis juste au moment où les premiers rayons du soleil touchèrent la fenêtre de la chambre, Cécile bougea ses paupières papillonnèrent. Sa respiration, qui avait été superficielle et laborieuse pendant des jours, devint soudain plus profonde et plus régulière. “C’est cil”, murmura Jean-Baptiste, osant à peine espérer.
Les yeux de sa fille s’ouvrirent, encore trouble mais conscient. “Papa, sa voix était faible mais claire. “Je suis là, ma chérie. Papa est là.” Adélaï posa sa main sur le front de l’enfant. La fièvre baisse, elle va vivre. Jean-Baptiste sentit ses jambes céderes sous lui. Il tomba à genou près du lit, tenant la main de sa fille, des larmes de soulagement coulant librement sur ses joues.
“Merci”, murmura-t-il sans savoir s’il s’adressait à Dieu, à Adélaïde ou aux deux. Le docteur Rousell s’approcha, vérifiant le pou de Cécile avec une expression d’incrédulité. “C’est c’est extraordinaire. La transformation est remarquable.” Qui avait-il dans ce remède ? Adélaï rassembla ses objets rituels et les remis dans sa poche. Des plantes que vos livres ne mentionne pas, docteur.
Des connaissances que mon peuple garde depuis des milliers d’années. Elle se dirigea vers la porte, mais Jean-Baptiste l’appela. Attends. Elle se retourna son visage toujours impassible. Pourquoi ? Demanda-t-il. Pourquoi m’as-tu aidé ? Après tout ce que après tout ce que notre peuple a fait au tien. après que je t’ai acheté comme du bétail.
Pourquoi sauver ma fille ? Pour la première fois depuis qu’il la connaissait, Adélaï sourit. C’était un sourire triste, chargé de souffrance et de sagesse parce qu’un enfant malade n’est responsable de rien, parce que la vie est sacré quelle que soit la couleur de sa peau.
Et parce que peut-être si je sauve assez de vie, les ancêtres pardonneront le sang que mes connaissances ont versé malgré moi. Le sang, tu veux dire tes précédents maîtres ? Elle hoa lentement la tête. Je n’ai tué personne de mes mains, maître. Mais je savais, je savais qu’il mourraient et je n’ai rien fait pour les arrêter. C’est mon péché et je le porte. Comment savais-tu ? Dans mon pays, on m’a appris à lire les signes, les rêves, les oiseaux, les ombres. Ces hommes portèrent la mort sur eux comme une cape.
Peut-être que mes connaissances l’ont attiré. Peut-être pas, mais elle était là. Je l’ai vu et je me suis tue. Et moi, est-ce que je porte cette cape ? Adélaï le regarda longuement, si intensément qu’il dut se forcer à ne pas détourner les yeux. Non, dit-elle finalement, vous êtes différent des autres. Votre fille vous ancre à la vie.
Tant qu’elle vivra, vous vivrez. Sur ces mots énigmatiques, elle quitta la chambre, laissant Jean-Baptiste avec plus de questions que de réponses. Mais sa fille était sauvée. C’était tout ce qui importait. La guérison miraculeuse de Cécile changea toute à la plantation Morau.
En quelques jours, l’histoire de la nuit où l’esclave africaine avait sauvé l’enfant du maître se répandit non seulement parmi les esclaves, mais dans toute la région de pleine du Nord. Les réactions furent variées et complexes parmi les esclaves de la plantation. La peur qu’inspirait Adélaïd ne disparut pas, mais elle se transforma en quelque chose de différent, un respect craintif, mêlé d’une sorte de vénération.
Les femmes, qui avaient refusé de lui adresser la parole commencèrent à lui poser timidement des questions sur les herbes médicinales. Les hommes qui l’avaient évité s’écartaient toujours sur son passage, mais maintenant c’était avec déférence plutôt que par répulsion. La vieille Abena fut la première à briser véritablement la glace.
Une semaine après la guérison de Cécile, elle s’approcha d’Adélaïde au potager où cette dernière travaillait toujours seule. “Tu es une vraie guérisseuse”, dit Abena dans un mélange de créole et de français comme les nganga de mon village avant que les esclavagistes ne viennent. Adélaï leva les yeux de son travail. D’où viens-tu, grand-mère ? du royaume cono comme toi. Mais il y a si longtemps que je me souviens à peine du visage de ma mère.
Les yeux d’Abena se remplirent de larme. Mon petitfils coamé tou qui ne part pas. Cela fait des mois. Le médecin blanc dit qu’il n’y a rien à faire. Pourrais-tu pourrais-tu le regarder ? Adélaïde hésita. Le maître ne veut peut-être pas que je soigne les autres. Demandons-lui dit une voix derrière elle. Les deux femmes se retournèrent pour voir Jean-Baptiste qui s’approchait.
Cécile marchant à côté de lui, tenant sa main. La petite fille avait récupéré remarquablement vite, retrouvant son énergie et sa curiosité naturelle. “Papa, c’est-elle ? C’est la dame qui m’a sauvé ?” s’exclama Cécile, pointant Adélaïde avec l’excitation innocente de l’enfance. Jean-Baptiste sourit. Un vrai sourire, le premier depuis des semaines. Oui, ma chérie, c’est elle.
Cécile se détacha de son père et courut vers Adélaï, l’enlassant sans la moindre trace de peur ou d’hésitation. Merci de m’avoir guéri. Papa dit que j’étais très malade et que tu m’as sauvé avec ta magie. Adélaïde, visiblement surprise par les traines spontanées, posa doucement une main sur la tête de l’enfant. Ce n’était pas de la magie petite, c’était les plantes et les connaissances de mes ancêtres.
Pour une enfant de h ans, c’est la même chose, dit Jean-Baptiste s’approchant. Il se tourna vers Abena. De quoi parliez-vous ? Ab s’inclina respectueusement. Mon petitfils est malade, maître. Je demandais à Adélaïde si elle pourrait l’aider. Jean-Baptiste réfléchit un moment.
Depuis la guérison de Cécile, il avait beaucoup pensé à Adélaïde, à ses connaissances, à tout ce qui s’était passé depuis son arrivée. Son scepticisme rationnel avait été ébranlé mais pas détruit. Il préférait maintenant penser qu’il avait simplement mal compris la situation. Peut-être que les malheurs précédents n’avaient rien à voir avec Adélaï elle-même, mais avec la façon dont elle avait été traité.
Peut-être que ses maîtres précédents, effrayés par sa réputation, l’avaient maltraité ou négligé, créant un environnement de tension et de peur qui avait conduit à des accidents, ou peut-être, et cette pensée était plus troublante, que les maîtres précédents étaient simplement morts de cause naturelle. et que les histoires avaient grandi dans la répétition. Saint-Doming était une île dangereuse.
Les maladies tropicales tuaient régulièrement. Les accidents étaient fréquents. Était-ce vraiment si impossible que trois hommes soient morts en quelques mois sans qu’il y ait de causes surnaturelles ? Très bien, dit-il finalement. Adélaï, tu as permission de soigner ceux qui ont besoin d’aide, mais tu continueras tes tâches au potager quand tu n’es pas occupé avec les malades. Adélaï s’inclina légèrement.
Merci, maître. Dans les semaines suivantes, une transformation remarquable s’opéra à la plantation Morau. Adélaï devint une sorte de guérisseuse résidente, consultant avec les esclaves malades, préparant des remèdes à base de plantes, traitant les blessures et les maladies que le docteur Roussell n’avait pas réussi à guérir ou qu’il jugeait trop mineur pour mériter son attention.
Le petitfils d’Abena fut le premier. Sa toute chronique qui l’avait affaibli pendant des mois disparut en deux semaines grâce à un sirop à base d’écorce de quinquina et d’autres plantes locales. Puis ce fut autour d’une jeune femme souffrant de fièvres récurrentes, d’un homme âgé avec des douleurs articulaires paralysantes, d’un enfant avec des plais infectés qui ne guérissaient pas.
Les succès d’Adélaïde ne passèrent pas inaperçus. Les planteurs voisins, entendant parler de cet esclave aux connaissances médicinales extraordinaire, commencèrent à envoyer des messages à Jean-Baptiste, demandant si elles pouvait examiner leurs propres esclaves malades. Certains offraient de la payer ou d’offrir d’autres services en échange. Jean-Baptiste se retrouva dans une position inhabituelle.
L’esclave qui l’avait acheté pour 20 livres comme travailleuse agricole était devenu un atout précieux. peut-être plus précieux que tous ces autres esclaves combinés. Il commença à permettre à Adélaï de visiter les plantations voisines toujours sous escorte, gagnant ainsi la bonne volonté de ses voisins et des faveurs commerciales qui profitaent à ses affaires. Mais plus important encore, l’atmosphère à la plantation changea.
La peur qui avait empoisonné l’air depuis l’arrivée d’Adélaïde se dissipa progressivement. Les esclaves recommencèrent à chanter pendant le travail. La productivité remonta. Les accidents mystérieux cessèrent. Le moulin fut réparé et fonctionna même mieux qu’avant.
Les récoltes de cannes furent abondantes cette année-là, dépassant les projections de Jean-Baptiste. C’était comme si la plantation avait retrouvé son équilibre ou peut-être en avait-elle trouvé un nouveau meilleur. Un soir, 3 mois après l’arrivée d’Adélaï, Jean-Baptiste la fit appeler à la grande maison. Elle entra dans son bureau toujours avec cette même dignité calme qu’il avait frappé dès le début.
Assi-toi”, dit-il, indiquant une chaise. Elle hésita. Les esclaves ne s’asseyaient jamais en présence de leur maître. C’était une règle non écrite mais strictement observée. “S’il te plaît, insista Jean-Baptiste. Je veux te parler et je préfère que ce soit une conversation, pas un maître donnant des ordres à son esclave.
” Lentement, Adélaï s’assit sur le bord de la chaise, son dos droit, ses mains posées sur ses genoux. “Je veux comprendre”, commença Jean-Baptiste. “Ces hommes, tes précédents maîtres, tu as dit que tu savais qu’il mourrait.” Comment ? Adélaï resta silencieuse un long moment, son regard fixé sur un point au-delà de la fenêtre où la nuit tropicale bourdonnait de vie.
Dans mon village, dit-elle finalement, j’ai été formé dès l’enfance par ma grand-mère qui était la grande guérisseuse de notre peuple. Elle m’a appris les plantes, oui, mais aussi à voir ce que d’autres ne voi pas. Les signes de la mort qui vient. Quel signe ? Une ombre dans les yeux, une odeur particulière sur la peau, des rêves qui se répètent.
Ce sont des choses subtiles que la plupart des gens ignorent mais qui sont aussi réelles que la fièvre ou la toue. Et mes précédents maîtres avaient ces signes. Oui, le premier monsieur Laporte avait une faiblesse dans le cœur. Je l’ai vu dans la façon dont il respirait, dans la couleur de ses lèvres. Sa mort dans l’eau n’était pas un accident simple.
Son cœur a lâché. Et le deuxième, Monsieur du champ buvait trop de Rome. Son équilibre était affecté, ses mains tremblaient. La chute de cheval était inévitable et le troisième le visage d’Adélaï s’assombrit. Monsieur Renard était le pire des trois. Il battait ses esclaves avec une cruauté que même dans cette île brutale peu égalait.
Il me battait aussi et pire encore. Sa voix restait calme mais Jean-Baptiste pouvait sentir la douleur cachée derrière. Il avait une maladie du sang. Je l’ai senti. Sa mort a été lente et douloureuse et je dois confesser, maître, que j’étais heureuse de le voir souffrir. Jean-Baptiste absorba ses informations. Tout avait des explications rationnelles comme il l’avait soupçonné.
Mais la capacité d’Adélaïde à lire ses signes, à prédire les morts avant qu’elle ne survienne, c’était quelque chose que sa formation européenne ne pouvait pas facilement expliquer. “Et moi, demanda-t-il, quel signe vois-tu en moi ?” Adélaï le regarda directement pour la première fois depuis qu’elle était entrée dans la pièce. Je vois un homme bon qui essaie de survivre dans un système mauvais.
Je vois quelqu’un qui aime profondément sa fille et qui porterait n’importe quel fardeau pour elle. Je vois aussi de la culpabilité, du doute. Vous savez que ce que vous faites posséder des êtres humains est mal, mais vous ne savez pas comment vivre autrement. Jean-Baptiste sentit une vague de malaise le traverser.
Elle avait raison bien sûr, depuis la mort d’Isabelle, depuis que Cécile était devenu le centre de son monde, il s’était de plus en plus interrogé sur la vie qu’il menait. Il avait grandi dans ce système, l’avait accepté sans question. Mais maintenant, si tu pouvais être libre, dit-il soudainement, que ferais-tu ? Adélaï cligna des yeux, surprise par la question. Libre ? Oui.
Si je te donnais ta liberté, où irais-tu ? Que ferais-tu ? Elle réfléchit longuement. Je retournerai en Afrique si je le pouvais, mais le voyage est impossible pour quelqu’un comme moi. Alors, je resterai probablement ici à Saint-Domingue. J’ouvrirai peut-être une petite boutique d’herbe médicinal à Cap Français.
J’aiderai les gens, tous les gens, noirs, blanc, mulâtre. La maladie ne voit pas la couleur de peau, c’est un beau rêve, dit Jean-Baptiste doucement. Ce n’est qu’un rêve, maître. Les esclaves ne rêvent pas. C’est trop douloureux. Jean-Baptiste se leva et marcha vers son coffre fort. Il l’ouvrit et en sortit une liasse de documents. Revenant à son bureau, il prit une plume et commença à écrire.
Un délaï l’observait confuse. Après plusieurs minutes, Jean-Baptiste signa le document, le saupoudrin de poudre à séché, puis le tendit à Adélaï. “Qu’est-ce que c’est ?” demanda-t-elle ne prenant pas le papier. “Tes papiers d’affranchissement. À partir de maintenant, tu es une femme libre. Le choc sur le visage d’Adélaï fut total.
Pour la première fois, son masque d’impassibilité se brisa complètement. Maître, je je ne comprends pas pourquoi. Plusieurs raisons, dit Jean-Baptiste. D’abord parce que tu as sauvé ma fille et aucun montant d’argent ne peut payer cette dette.
Deuxièmement parce que tes compétences sont trop précieuses pour être gaspillé dans les champs. Et troisièmement, il hésita parce que c’est la bonne chose à faire. Adélaï prit enfin le document, ses mains tremblant légèrement en lisant les mots qui changeaient tout. Des larmes commencèrent à couler sur ses joues, silencieuses mais abondantes. “Mais continua Jean-Baptiste, j’ai une proposition.
reste ici, travaille pour moi comme guérisseuse et je te perai un salaire équitable. Tu auras ta propre maison, ta liberté de mouvement et dans quelques années, quand tu auras économisé suffisamment, tu pourras réaliser ton rêve d’ouvrir une boutique en ville. Adélaï leva les yeux du document, son visage mouillé de larme. Pourquoi faites-vous cela vraiment ? Jean-Baptiste pensa à Isabelle, à Cécile, aux centaines d’esclaves qu’il possédait, à tout le système qui avait construit sa richesse sur la souffrance d’autrui. Il ne pouvait pas changer le monde. Il ne pouvait pas libérer tous
ses esclaves sans se ruiner et ruiner sa fille. Mais il pouvait faire ce petit geste : sauver une personne. Parce que tu m’as montré quelque chose, dit-il simplement. Tu m’as montré que la sagesse et la dignité ne dépendent pas de la couleur de peau ou du statu.
Tu m’as montré qu’il y a des formes de connaissance que mes livres européens ignorent et tu m’as donné une deuxième chance avec ma fille. C’est le moins que je puisse faire. Adélaï s’essuya les yeux et se leva. Pour la première fois, elle sourit largement. Un sourire de joie pure. J’accepte votre proposition, monsieur Morau, et je vous promets que je servirai cette plantation et ses habitants, tous ses habitants, de mon mieux.
Je n’en attendais pas moins”, dit Jean-Baptiste souriant également. Cette nuit-là, la nouvelle de l’affranchissement d’Adélaï se répandit comme un feu de forêt à travers la plantation. Les réactions furent mixtes. Certains esclaves furent heureux pour elle, la voyant comme une preuve que le maître avait un cœur.
D’autres furent jaloux, se demandant pourquoi elle avait été choisie et pas eux. Quelques-uns, particulièrement les plus anciens, furent simplement stupéfaits qu’un tel événement puisse arriver. Mais tous comprirent que quelque chose d’important venait de se produire.
La femme que personne ne voulait était devenue la femme que tout le monde respectait. 6 mois passèrent. La plantation morau prospéra comme jamais auparavant. Les récoltes furent exceptionnelles. Les esclaves en meilleure santé que jamais grâce aux soins d’Adélaï. Et Jean-Baptiste se retrouva dans une position financière plus solide qu’il ne l’avait été depuis des années.
Adélaï avait sa propre petite maison maintenant construite près de la grande maison mais séparée un symbole de son nouveau statut. Elle continuait à soigner les malades non seulement à la plantation moraux mais dans toute la région. Sa réputation grandit et avec elle les revenus de Jean-Baptiste qui prenaient un pourcentage des paiements des autres planteurs.
Mais plus important que l’argent, une amitié inhabituelle s’était développée entre le planteur français et l’ancienne esclave africaine. Il passaient souvent les soirées à discuter, partageant des histoires de leur vie si différentes, apprenant l’un de l’autre.
Adélaï enseignait à Jean-Baptiste les connaissances médicinales de son peuple et il lui apprenait à lire. et à écrire le français correctement, à comprendre les chiffres et le commerce. Cécile adorait Adélaïd. L’enfant passait des heures avec elle l’aidante à préparer des remèdes, apprenant les noms des plantes, écoutant des histoires sur l’Afrique que Adélaï se souvenait de son enfance.
Pour Cécile qui n’avaient plus de mère, Adélaïde remplissait un vide qu’elle n’avait même pas réalisé avoir. Un jour de mars 1786, Pierre Baumont rendit visite à Jean-Baptiste. Les deux hommes s’assirent sur la véranda, buvant du Rome et regardant les champs verdoyants s’étendre devant eux. “Je dois l’admettre, Morau”, dit Baumont. “Tu avais raison et j’avais tort. Cette femme que personne ne voulait s’est avéré être ton plus grand atout.
Jean-Baptiste sourit. Je ne dirais pas que j’avais raison. J’ai simplement eu de la chance ou peut-être que c’était le destin. Tu parles comme un esclave maintenant avec tes histoires de destin se moqua gentiment Beaumont. Mais dis-moi, cette histoire d’affranchissement, c’était audacieux. Certains des autres planteurs en parlent. Ils craignent que cela donne des idées aux autres esclaves.
Qu’il parle, répondit Jean-Baptiste. Adélaïde a gagné sa liberté de manière juste. Elle a sauvé ma fille. Aucun homme ne peut mettre un prix sur cela. Baumont hocha la tête pensivement. Le monde change, mon ami. As-tu entendu les nouvelles de France ? Il y a des mouvements pour abolir l’esclavage. Des philosophes comme Rousseau et Voltaire écrivent contre.
Même certains à l’assemblée commencent à poser des questions. L’abolition, Jean-Baptiste secou la tête. Impossible. Toute l’économie de ces îles repose sur l’esclavage. Sans cela, les plantations s’effondreraient. Peut-être. Ou peut-être trouverions-nous d’autres façons. Regarde ce que tu fais avec Adélaïd. Tu la paix.
Elle travaille volontairement et elle est plus productive que dix esclaves forcés. C’était vrai. Jean-Baptiste devait l’admettre, mais généraliser cela à toute une plantation, à toute une économie, cela semblait impossible. Leur conversation fut interrompue par l’arrivée d’un cavalier galoppant rapidement sur le chemin menant à la plantation. L’homme descendit de cheval, essoufflé et agité.
“Monsieur Morau, monsieur Baumont, des nouvelles urgentes de Cap Français.” “Q’y a-t-il ?” demanda Jean-Baptiste se levant rapidement. Une révolte d’esclaves à la plantation turpin à quinzeinze kilomètres d’ici. Ils ont brûlé la grande maison, tué le maître et sa famille.
L’armée est en route, mais ils craignent que la révolte ne se propage. Le sang de Jean-Baptiste se glaça. Les révoltes d’esclaves n’étaient pas rares à Saint-Domingue, mais elles étaient toujours brutales, se terminant généralement par des exécutions massives des deux côtés. “Combien d’esclaves impliqués ?” demanda Baumont. Son visage pâle. On parle de plus de sang.
Il se dirige vers les montagnes, appelant d’autres plantation à se joindre à eux. Jean-Baptiste regarda ses propres champs où ses esclaves travaillaient paisiblement. Allait-il se rebeller aussi ? Avait-il été naïf de penser que sa relative gentillesse le protégerait ? Je dois renforcer la sécurité, dit-il. Doublez les gardes, vérifier les armes.
Sage décision, approuva Baumont, je ferai la même chose dans ma plantation. Cette nuit-là, la plantation Morau était tendue. Des gardes armées patrouillaient le périmètre. Les esclaves furent enfermés plus tôt que d’habitude dans leur quartier. Jean-Baptiste ne dormit pas, restant éveillé avec un pistolet chargé sur la table à côté de lui, écoutant chaque bruit suspect.
Au matin, Adélaï vint le voir. Son visage était grave. Les esclaves parlent, dit-elle sans préambule. Il parle de la révolte, de la liberté. Certains veulent se joindre. Quoi ? Jean-Baptiste se leva brusquement. Lesquels ? Donne-moi leur nom. Je ne ferai pas ça ! Répondit Adélaï fermement.
Je ne trahirai pas mon peuple, mais je suis venu vous avertir parce que je vous respecte et parce que Cécile est innocente. Alors, que suggères-tu ? Adélaï le regarda intensément. Parlez-leur, ne les traitez pas comme des ennemis potentiels. Parlez-leur comme des êtres humains. Expliquez la situation. Écoutez leur peur. Vous avez construit quelque chose de différent ici ces derniers mois.
ne le détruisit pas maintenant avec la peur et la violence. Jean-Baptiste voulait argumenter, dire qu’elle était naïve, que les esclaves étaient dangereux, qu’il devait protéger sa famille et sa propriété. Mais une autre part de lui, la part qui avait changé depuis l’arrivée d’Adélaïd, savait qu’elle avait raison.
À midi, il rassembla tous ses esclaves dans la cour centrale. Plus de 200 personnes se tenaient devant lui. Leur visage, un mélange de curiosité. de peur et chez certains d’espoir à peine voilé. “Je sais que vous avez entendu parler de la révolte à la plantation Turpin”, commença Jean-Baptiste, sa voix portant dans le silence tendu. “Je sais que certains d’entre vous sympathisent avec les rebelles.
Que vous rêvez de liberté !” Un murmure parcourut la foule. Les gardes armées se tendirent, mais Jean-Baptiste leur fit signe de rester calme. Je ne prétendrai pas que l’esclavage est juste. C’est un système que j’ai hérité, que nous avons tous hérité, mais cela ne le rend pas juste. C’était la première fois qu’il admettait cela publiquement et les mots semblaient libérer quelque chose en lui.
Mais je vous demande ceci. Regardez comment nous vivons ici. Est-ce ? Non. Mais est-ce mieux que dans beaucoup d’autres plantations ? Il vit quelques hochements de tête hésitant. Je vous promets ceci, continua-t-il. Je travaillerai pour améliorer vos conditions. Plus de nourriture, de meilleurs logements, des familles qui resteront ensemble et peut-être avec le temps un chemin vers la liberté pour ceux qui le gagnent comme Adélaï l’a fait. De belles paroles ! Cria une voix dans la foule. C’était Marcus, un jeune homme fort qui
travaillait au champs. Mais les promesses des maîtres ne valent rien. La liberté ne se gagne pas. Elle se prend. La foule frémitie. Jean-Baptiste vit les gardes pointer leur mousquets et il su que la situation était à un cheveux de l’explosion. Puis Adélaï s’avança se plaçant entre Jean-Baptiste et les esclaves assemblés.
Marcus a raison dit-elle. Sa voix claire et forte. Les promesses ne suffisent pas. Mais la violence non plus. J’ai vu ce que la révolte fait. J’ai vu des villages brûlés en Afrique quand les chefs se sont rebellés contre les esclavagistes. Les rebelles sont morts et plus d’esclaves ont été pris. La violence engendre la violence.
Tu as été acheté par les maîtres ! Cria quelqu’un. Tu ne peux pas comprendre. J’ai été libre répondit avec passion. Monsieur Morau m’a libéré. Pas parce que je l’ai menacé, mais parce qu’il a vu mon humanité. Ce n’est pas parfait. Ce n’est pas la justice complète, mais c’est un début et d’autres peuvent suivre ce chemin. Le silence tomba.
Marcus regarda Adélaï puis Jean-Baptiste son visage torturé par le conflit intérieur. “Donnez-moi un an”, dit Jean-Baptiste soudainement, un an pour prouver que je tiens mes promesses. Si dans un an rien n’a changé, alors je ne vous en voudrai pas de chercher votre propre chemin. Mais donnez-moi cette chance.
C’était une proposition audacieuse, presque folle. Il mettait essentiellement sa vie et celle de sa famille entre les mains de ses esclaves. Baumont, qui assistait à la scène depuis la véranda semblait horrifié. Finalement, c’est Abena qui parla, sa voix ancienne portant le poids de décennies de souffrance et de sagesse. Le maître a sauvé mon petitfils en permettant à Adélaïde de le soigner. Il a donné la liberté à l’une des nôres.
Ce sont de petites choses, mais ce sont plus que ce que la plupart des maîtres ont jamais fait. Je dis que nous lui donnons sa chance. D’autres voix s’élevèrent d’abord timidement, puis plus fort, soutenant Abena. Pas tous. Jean-Baptiste pouvait voir que Marcus et quelques autres restaient silencieux, leur visage fermés, mais la majorité semblait prête à accepter sa proposition. Un an, répéta Marcus finalement.
Mais si vous nous trahissez, nous nous souviendrons de ce jour. Je comprends dit Jean-Baptiste. La foule se dispersa lentement. Jean-Baptiste sentit ses jambes trembler de soulagement. Baumont descendit de la véranda, secouant la tête avec incrédulité. Tu es fou, Morau, complètement fou. Tu viens de donner du pouvoir à tes esclaves. Cela ne finira pas bien.
Peut-être, admit Jean-Baptiste, ou peut-être que c’est le seul chemin vers un avenir où nous n’aurons pas besoin de dormir avec des pistolets sous nos oreillers. Adélaï s’approcha après le départ de Baumont. C’était courageux, dit-elle simplement ou stupide. Parfois, c’est la même chose. Jean-Baptiste rit.
Un rire nerveux mais libérateur. Tu m’as changé, Adélaï. L’homme qui t’a acheté au marché il y a six mois n’aurait jamais fait ce discours. Non, convain-elle, mais cet homme n’aurait pas non plus survécu à ce qui vient. Le monde change, monsieur Morau. Saint-Domingue change.
L’homme que vous étiez n’aurait pas eu de place dans le monde nouveau, mais l’homme que vous devenez peut-être. Les mois suivants furent difficiles. Jean-Baptiste teint ses promesses, améliorant progressivement les conditions de vie de ses esclaves. Il construisit de nouvelles cabanes, augmenta les rations alimentaires, permit aux familles de rester ensemble.
C’était coûteux et il dut puis dans ses économies, mais il teint parole. La révolte à la plantation turpin fut brutalement réprimée. Les meneurs furent exécutés publiquement à Cap français, leur tête exposé comme avertissement. Mais d’autres révoltes éclatèrent ailleurs sur l’île. La tension augmentait constamment. À la plantation morau cependant, un équilibre précaire mais réel s’était établi.
Ce n’était pas la liberté, mais ce n’était pas non plus l’esclavage brutal qui caractérisait tant d’autres plantations. C’était quelque chose entre les deux, imparfait mais viable. Adélaï continua son travail de guérisseuse. Sa réputation s’étendant bien au-delà de la région. Des gens venaient de partout sur l’île pour consulter la femme qui comprenait à la fois les médecines européennes et africaines.
Cécile grandit, devenant une jeune fille intelligente et compatissante, formée autant par Adélaï que par les tuteurs français de son père. Elle apprenait le français et le créole, la médecine européenne et les remèdes africains. Elle représentait quelque chose de nouveau, un pont entre deux mondes. Un soir, presque exactement un an après ses jours fatidiques au marché, Jean-Baptiste et Adélaï étaient assis sur la véranda, regardant le soleil se coucher sur les champs. “Cécile jouait dans le jardin, cueillant des fleurs.” “Je pense souvent à ce
jour, dit Jean-Baptiste. le jour où personne ne voulait acheter. Si j’avais écouté les avertissements, si j’avais laissé ma peur me guider, ma vie serait si différente maintenant. Vous seriez probablement plus riche, observa Adélaï avec un petit sourire.
Peut-être, mais je serais plus pauvre dans tous les sens qui importent vraiment. Ils restèrent assis en silence confortable, regardant les étoiles commençaient à apparaître dans le ciel qui s’assombrissait. La plantation mora n’était pas parfaite. Saint-Domingue n’était pas parfait. Le monde n’était pas parfait. Mais dans ce petit coin des Caraïbes, sous les étoiles tropicales, une transformation avait eu lieu.
Un homme avait appris à voir au-delà de la couleur de peau. Une femme avait trouvé un but dans un lieu d’exil. Une enfant apprenait que l’humanité transcendait les divisions que la société imposait. La femme que personne ne voulait était devenue le catalyseur d’un changement qui, bien que petit, portait en lui les graines d’une révolution plus profonde que toutes les révoltes violentes.
Et dans les années à venir, alors que Saint-Doming brûlerait dans la révolution qui deviendrait Haïti, alors que l’ancien ordre s’effondrerait dans le sang et le feu, les leçons apprises à la plantation morau survivraient, car elles étaient gravées non dans les lois ou les décrets, mais dans les cœurs de ceux qui avaient vécu cette transformation.
L’esclavage était un mal qui devait être détruit, mais sa destruction pouvait venir de différentes manières, par la violence et la vengeance, oui, mais aussi parfois par de petits actes de courage, de compassion et de reconnaissance de l’humanité partagée. La femme que personne ne voulait avait enseigné cette leçon et son héritage vivrait longtemps après que les dernières chaînes auraient été brisé et que les dernières plantations auraient été réduites en cendre.
Car certaines révolutions ne se font pas avec des fusils et des torches, mais avec des remèdes préparés sous la lumière de la Lune, avec des conversations difficiles sous les étoiles et avec le courage de voir l’humanité là où la société dit qu’il n’y en a pas. C’était l’histoire d’Adélaï, la guérisseuse du Congo qui était devenue la femme libre de Saint-Domingue.
C’était l’histoire de Jean-Baptiste Morau, le planteur qui avait appris que posséder des hommes signifiait perdre son âme. Et c’était l’histoire d’une plantation dans les collines de Pleines du Nord où pendant un bref moment dans l’histoire, quelque chose de différent avait été possible. Amen.


