Hervé Vilard : Le Douloureux Secret. À 78 ans, le Vrai “Amour” Perdu de sa Vie n’est pas celui que l’on Croit.
“Capri c’est fini”. Ces quatre mots, portés par une mélodie immortelle, ont fait d’Hervé Vilard une icône. Pour des millions de gens, sa voix est la bande-son d’un amour perdu, d’une nostalgie douce-amère. L’image qu’il a cultivée pendant des décennies est celle du chanteur romantique au sourire charmeur. Mais derrière la scène scintillante, derrière les plus de quarante ans de carrière et les succès comme “Nous”, “Reviens” ou “Méditerranéenne”, se cachait un homme tourmenté, un “orphelin” au sens le plus profond du terme, dont l’âme n’a jamais vraiment guéri.

Aujourd’hui, à 78 ans, alors que le crépuscule de sa vie s’installe, Hervé Vilard, né René Villard, a finalement laissé tomber le masque. Il a partagé une vérité poignante, un aveu qui redéfinit toute son existence. Non, il n’a pas révélé le nom d’une amante secrète ou d’un amour caché. La confession est bien plus tragique. Il a admis que le plus grand regret de sa vie était d’avoir laissé la solitude et les traumatismes indélébiles de son enfance dominer son être tout entier, l’empêchant “d’aimer et de vivre aussi pleinement qu’il l’avait rêvé”. L’amour de sa vie, celui qu’il a perdu, n’est pas une personne. C’est l’amour lui-même.
Cette confession, partagée lors d’une rare interview en 2023, fut brève mais dévastatrice de sincérité : “Je chante sur l’amour, mais il y a des jours où je me demande si je le comprends vraiment.” Ces mots sont la clé d’une vie passée à chercher quelque chose qu’il se sentait incapable de mériter ou de retenir. Pour comprendre cette tragédie intime, il faut remonter à la source, à cette blessure originelle qui ne s’est jamais refermée.
Né à Paris en 1946, le petit René Villard n’a jamais connu les bras de sa mère. Sa mère biologique, Blanche, l’abandonna peu après sa naissance à l’hôpital. Il fut immédiatement confié à la protection sociale, un système froid et impersonnel pour un nouveau-né. Cet abandon, dont il n’a jamais vraiment compris les raisons, fut le premier rejet, le péché originel de son existence. Il fut envoyé dans un orphelinat du Berry, où ses premières années furent définies par “la froideur et le manque d’amour”. Il racontera plus tard s’être souvent allongé dans son petit lit, dans la pièce sombre, écoutant le vent, se demandant si sa mère pensait à lui.
Ce sentiment de rejet, avant même qu’il ne puisse le nommer, s’est gravé dans son âme. La vie à l’orphelinat était une lutte. Il y avait les repas maigres, les vêtements usés, les longues journées sans personne à qui parler, le harcèlement par les enfants plus âgés, les nuits blanches à cause de la faim. Ces années lui ont appris à se protéger, à construire une forteresse autour de son cœur. Mais cette armure l’a aussi rendu “renfermé”, gardant toujours une distance avec le monde.
À l’âge de six ans, une lueur d’espoir apparaît. Il est adopté par Jeanne, une “gentille femme” du Berry. Il devient officiellement Hervé. Mais même ce foyer ne parvient pas à chasser les fantômes. La famille de Jeanne vit dans la pauvreté, et Hervé doit travailler durement aux champs. Bien qu’il aimait sa mère adoptive, il confiera plus tard s’être toujours senti “comme un étranger”, un intrus qui n’appartenait vraiment à personne. L’amour qu’on lui donnait ne pouvait combler le vide laissé par l’amour qu’on lui avait refusé à la naissance.

À 14 ans, l’appel du rêve est plus fort que la stabilité précaire. Il fuit. Il part pour Paris avec rien en poche : “sans argent, sans famille, seulement un rêve de musique”. Commence alors une vie de vagabond. Il dort sur des bancs, dans des stations de métro, mange des restes de pain. Il se souvient de nuits passées sur les rives de la Seine, regardant les lumières de la ville, se demandant s’il aurait la force de continuer. “Je ne savais pas où j’allais, mais je savais que je ne pouvais pas faire demi-tour.” Ces jours ont forgé son caractère, mais ont aussi laissé des cicatrices mentales, nourrissant une insécurité qui ne le quittera jamais.
Puis, un soir fatidique dans un petit café de Montmartre, sa voix grave et son histoire émouvante sont remarquées par un employé de Mercury Records. Le conte de fées commence. En 1965, c’est l’explosion. “Capri c’est fini” devient un phénomène international, se vendant à 3,3 millions d’exemplaires. L’orphelin vagabond est propulsé au sommet de la gloire. Il chante à l’Olympia, à Bobino, les foules scandent son nom.
Mais la gloire ne guérit pas l’âme. Hervé Vilard est la preuve vivante que le succès est une chose, le bonheur une autre. Alors que des milliers de spectateurs chantaient chaque mot de “Capri c’est fini”, lui, sur scène, ressentait la signification profonde de cette complainte. Pour lui, elle ne symbolisait pas seulement un amour de vacances perdu ; elle symbolisait “les pertes de sa vie”. Lorsque les lumières s’éteignaient, il se sentait “plus seul que jamais”. Ses amis de l’industrie racontent qu’après les concerts, il s’asseyait souvent seul, regardant le ciel nocturne, “comme s’il cherchait une partie perdue de lui-même”.
Son aveu, “Je chante l’amour, mais je ne sais pas si je le mérite vraiment”, prend alors tout son sens. Le sentiment de ne pas appartenir, qu’il ressentait à l’orphelinat, persistait au sommet de la gloire. Cette insécurité a dicté des choix cruciaux dans sa carrière. En 1967, alors que l’Amérique lui ouvre les bras, il refuse. Il craint de perdre son identité française, n’a pas confiance en son anglais. Des années plus tard, il le regrettera amèrement : “J’ai laissé la peur dicter trop de décisions”. C’était la peur de l’orphelin, la peur de se perdre à nouveau, qui parlait.
L’un des épisodes les plus cruels de sa vie fut sans doute sa “rencontre” avec sa mère biologique. En 1965, au sommet de son succès, il signe un contrat avec un magazine : ils l’aideront à retrouver sa mère en échange de l’exclusivité des retrouvailles. Le cirque médiatique se met en place. Mais la réalité est brutale. Quand il retrouve enfin Blanche, la rencontre n’a rien d’un film. Sa mère a une nouvelle vie et ne souhaite pas renouer les liens. Le magazine, lui, tient son histoire. Les retrouvailles ratées deviennent une “blessure publique”, sa douleur personnelle exploitée dans les journaux. “Je voulais retrouver ma mère, mais je ne m’attendais pas à perdre mon intimité”, murmurera-t-il. Le rejet final, cette fois devant des millions de lecteurs.
La pression du succès était immense. Dans les années 70, il donne des centaines de spectacles par an, de Paris à Québec. Un rythme effréné qui mène à l’épuisement physique. Il s’effondre un jour à Bruxelles, hospitalisé pour déshydratation et stress. “Je pensais être immortel, mais mon corps a dit non”, partage-t-il. C’était peut-être aussi une fuite en avant, une tentative de combler le vide intérieur par l’adrénaline de la scène, jusqu’à ce que le corps lâche.
Aujourd’hui, à 78 ans, Hervé Vilard a réduit ses performances. Il regarde en arrière, et ce qu’il voit est une vie de contrastes saisissants : la pauvreté la plus noire et la richesse la plus éclatante, l’anonymat total et la célébrité absolue, les salles combles et la solitude la plus profonde.
Sa confession n’est pas l’aveu d’un échec amoureux spécifique. C’est le constat lucide et tragique d’un homme qui a compris que sa blessure d’enfance était si profonde qu’elle a agi comme un poison lent, l’empêchant de construire un bonheur simple. Il a passé sa vie à chanter ce qui lui manquait le plus. L’amour de sa vie, celui qu’il a “enfin avoué”, c’est cet amour plein, entier et apaisé qu’il n’a jamais pu s’autoriser à vivre, toujours hanté par le fantôme du petit René, abandonné dans un hôpital parisien. La plus grande tristesse d’Hervé Vilard n’est pas que Capri soit fini ; c’est que, pour lui, l’amour n’a peut-être jamais vraiment commencé.


