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« J’ai été leur pomme empoisonnée » : Le témoignage bouleversant d’Annabelle qui a fui le patriarcat mormon à 16 ans pour conquérir sa liberté

Il y a des destins que l’on ne choisit pas, mais que l’on refuse avec une force d’âme stupéfiante. Le parcours d’Annabelle, mère de trois enfants, Oscar (12 ans), Daphnée (11 ans) et Nina (8 ans), est un récit d’évasion, de résilience et de courage absolu. Élevée au sein d’une communauté religieuse mormone dans le nord du Canada, elle a été confrontée dès l’enfance à un monde ultraconservateur, où le destin des filles était écrit d’avance et où l’obéissance était la seule voie. Son témoignage, livré sans fard, est celui d’une âme rebelle qui a préféré le danger de la fugue à la prison d’une secte patriarcale.

L’histoire d’Annabelle est la preuve que parfois, la véritable liberté est un acte de guerre contre l’ordre établi, une bataille solitaire menée avec la seule arme de l’intelligence et de la volonté.

 

Le Carcan de l’Ordre Patriarcal

 

Dès les premiers mots, Annabelle pose un diagnostic sévère sur son environnement d’origine. La communauté mormone où elle a grandi est, selon elle, « considérée comme une secte dans beaucoup de pays » et, surtout, « une religion très patriarcale ». Ce qualificatif n’est pas anodin ; il est la clé de voûte du drame qui va se jouer. Dans cet univers isolé, où les adeptes restent « entre nous, les mormons », l’horizon des jeunes filles était singulièrement étroit.

Alors que l’adolescence s’installait, Annabelle a vu ses camarades de classe embrasser des destins qu’elle ne pouvait concevoir. Elle raconte qu’au moment d’avoir son bac, « il y avait plusieurs filles dans ma classe qui étaient déjà mariées. À 17, 18 ans. » Ces mariages précoces, orchestrés par la communauté, symbolisaient le destin tout tracé qu’elle refusait d’embrasser : devenir une épouse soumise, dont la valeur était mesurée à ses compétences domestiques. Elle se remémore cette doctrine : « Une femme qui ne sait pas cuisiner, faire du point de croix, c’est une femme qui aura un mari pauvre. » Pour Annabelle, cette assignation était une sentence. Elle l’a rejetée avec la fougue de sa jeunesse, se posant d’emblée comme « le mouton noir » d’une famille et d’une communauté qui n’admettaient aucune déviance.

Le Fémur Brisé et la Lumière des Livres

 

Le tournant décisif dans l’éveil d’Annabelle est un événement qui, ironiquement, aurait pu la confiner davantage : une fracture. À l’âge de 9 ans, elle se casse le fémur. Cette blessure, loin d’être un fardeau, fut une bénédiction inattendue. Pendant tout l’été, immobilisée, elle n’a pu participer aux « camps d’été mormons » et aux activités de groupe. « C’était moi et mes livres », se souvient-elle.

Cette solitude forcée l’a menée à la bibliothèque, là où les murs de sa communauté n’avaient pas encore dressé leurs barrières. Elle y a découvert des livres qui n’étaient « pas approuvés par l’église mormone ». Pour la jeune fille, c’était la révélation. « Le monde s’ouvrait à moi », explique-t-elle, et elle a commencé à se poser des questions fondamentales sur les croyances qu’on lui avait inculquées.

Sa soif de vérité l’a menée aux encyclopédies de l’école pour vérifier les mythes fondateurs de sa religion. C’est là qu’elle découvre des informations troublantes sur le prophète mormon, Joseph Smith, notamment des accusations de pédophilie. Face à ses découvertes, la réaction de l’autorité religieuse fut immédiate et effrayante : la bibliothécaire, elle-même mormone, a pris des ciseaux et a découpé les passages incriminés en lui assénant : « On ne fait pas ça chez nous. » Devant cet acte de censure flagrant, Annabelle a compris la duperie. Elle s’est dit qu’« il y avait un problème et que toute cette histoire était fausse. »

 

La Condamnation : « Une Pomme Empoisonnée »

 

La scission entre Annabelle et sa famille est survenue tôt, avec une violence psychologique inouïe. À seulement 11 ans, elle a annoncé à ses parents qu’elle ne croyait pas en Dieu, qu’elle était athée. La réaction fut « très mal », un euphémisme pour le rejet qui allait suivre. Ses parents consultent l’évêque de la paroisse, et la sentence tombe : « C’est une pomme empoisonnée, il faut la sortir. »

Ce rejet par sa propre chair, sous l’injonction religieuse, est le premier traumatisme profond. Annabelle fut immédiatement placée dans une première « famille d’accueil ». Cependant, le malheur ne s’arrête pas là. Souffrant de crises d’asthme, elle devint un fardeau pour cette famille très pauvre, qui comptait déjà sept enfants. À la fin de l’année scolaire, malgré l’attachement qu’elle portait à cette famille, elle fut renvoyée chez ses parents.

La « double peine » fut dévastatrice : « Mes parents ne voulaient pas de moi. Des gens chez qui je pensais être bien n’ont pas voulu de moi. » Ce retour n’est qu’une courte parenthèse de colère et de rébellion. Elle ne reste que quelques mois avant d’être replacée dans une deuxième famille d’accueil, beaucoup plus stricte. Dans ce nouvel environnement, où le droit de regarder la télévision lui était interdit, l’école est restée son unique bouée de sauvetage.

Cependant, même l’école devint un champ de bataille. La famille d’accueil exigeait d’elle qu’elle étudie « Le Livre des Mormons » tous les matins. Quand elle a refusé, trouvant cela « tellement stupide », ils ont mis la pression là où cela faisait le plus mal : « Ils m’ont dit que tant que je ne l’étudiais pas, je n’aurais pas mes livres d’école. Et ça, c’était dur. » Pour une jeune fille qui voyait l’éducation comme l’unique porte de sortie, priver ses livres était une torture morale.

 

L’Inspiration d’Oprah et la Grande Évasion

 

Malgré la surveillance, Annabelle trouvait des failles. Grâce à ses petits boulots de baby-sitting, elle pouvait regarder la télévision en cachette, se nourrissant d’inspiration venue du monde extérieur. Elle découvre des figures de la résilience comme Oprah Winfrey. Inspirée par son histoire, Annabelle lui écrit une lettre. La réponse, signée par Oprah ou son équipe, fut une injonction simple et puissante : l’éducation est la clé pour atteindre ses ambitions. Cette réponse a renforcé sa détermination à fuir.

Le point de rupture final intervient à 15 ans. Ses parents, ne supportant plus sa présence qui « pourrissait l’ambiance », prennent la décision humiliante de l’installer dans le camping-car familial, stationné dans le jardin. C’était une exclusion sans la rupture officielle, une manière de la mettre au ban de la famille tout en la maintenant sous surveillance.

À 16 ans, l’âge de l’émancipation légale dans l’Alberta, la voie de la liberté s’est ouverte. Avec une détermination froide, Annabelle a mis son plan à exécution. Elle a rassemblé toutes ses économies issues de ses heures de baby-sitting et a organisé sa fugue, traversant en bus l’immensité du Canada. Elle se dirigeait vers sa grand-mère maternelle au Québec, une parente non-mormone, seule chance de trouver refuge. L’arrivée fut semée d’embûches : sa mère, Québécoise, ne lui avait jamais parlé français, créant une barrière linguistique inattendue.

Déterminée à ne pas « perdre une année scolaire » à cause des différences de scolarité, elle a finalement déménagé dans le sud de la région, trouvant une chambre par l’aide de sa grand-mère paternelle. Elle travaillait le soir comme caissière dans un supermarché pour payer son loyer. À seulement 16 ans, cette enfant rejetée était devenue une adulte responsable, finançant elle-même son éducation et sa liberté.

 

La Maternité, le Déni de Grossesse et la Victoire Finale

 

Si l’évasion physique fut un succès, le combat émotionnel se poursuit. Le véritable impact de cette enfance difficile ne se révélera que des années plus tard, au moment où elle devint mère.

C’est lorsqu’elle tombe enceinte de son deuxième enfant, une fille, qu’un mécanisme de protection inconscient se met en place. Elle raconte avoir fait un déni de grossesse partiel. « Je n’ai pas pensé à ma grossesse » pendant plusieurs mois, continuant de prendre le scooter et de travailler, ne s’autorisant pas à s’attacher à cette nouvelle vie. Elle a séché ses rendez-vous médicaux jusqu’à ce qu’une sage-femme l’appelle à sept mois de grossesse. « Oh my God ! Je n’ai pas pensé à ma grossesse », s’est-elle dit. Cette réalisation fut le catalyseur qui la mena en thérapie.

Aujourd’hui, Annabelle est heureuse et épanouie, ayant réussi à concilier les compétences pratiques apprises de force (cuisine, point de croix) avec une carrière réussie dans la communication. Plus important encore, elle a brisé le cycle. Ses enfants connaissent leurs grands-parents mormons, mais les visites se font « en visite à Paris, avec mes conditions à moi. » Elle refuse catégoriquement de les envoyer là-bas, sachant que sa mère voudrait les emmener à l’église.

Annabelle a choisi son destin, refusant le rôle de victime. Sa philosophie, qu’elle partage aujourd’hui comme un phare, est une leçon de vie : « On ne choisit pas les cartes que l’univers va nous distribuer, mais on peut choisir comment les jouer. » De l’enfant qualifiée de « pomme empoisonnée » à la mère et entrepreneure épanouie, Annabelle a prouvé qu’il est toujours possible d’échapper à son destin, à condition de se battre pour ses livres et sa liberté. Son courage est un puissant témoignage de la résilience humaine face au joug du patriarcat et de l’emprise sectaire.

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