Petula Clark à 92 ans : La vie secrète de l’icône de “Downtown”, entre la gloire mondiale et la solitude d’un lac suisse
Sa voix a défini une époque. Avec un seul mot, “Downtown”, elle a capturé l’espoir et l’énergie d’une génération, devenant la première artiste britannique féminine à classer un numéro un aux États-Unis. Elle a chanté pour les soldats pendant la Seconde Guerre mondiale alors qu’elle n’était qu’une enfant, a conquis la France avec “Chariot”, et a vendu plus de 70 millions de disques. Aujourd’hui, à 92 ans, Petula Clark est une légende vivante. Mais loin des projecteurs qu’elle a côtoyés pendant neuf décennies, comment vit réellement l’éternelle voix de la pop ? Sa réalité, nichée entre la Suisse et Londres, est un mélange fascinant de discipline de fer, de spiritualité profonde et de solitude choisie. C’est le portrait d’une femme qui n’a “jamais eu de véritable enfance” et qui a trouvé la paix, enfin, dans le silence du temps qui passe.
L’histoire de Petula Sally Olwen Clark commence le 15 novembre 1932 à Epsum, en Angleterre. Sa vie bascule en 1942. À seulement 9 ans, sa voix pure la propulse sur les ondes de la BBC, où elle devient la “petite mascotte” des soldats britanniques. Alors que le monde est en guerre, elle devient un symbole d’espoir. Mais ce succès précoce a un prix. “Je n’ai jamais eu de véritable enfance,” confiera-t-elle des décennies plus tard. “On m’a appris très tôt à sourire, à chanter juste, à plaire, mais personne ne m’a appris à vivre”. Cette phrase, lourde de sens, explique en grande partie la femme qu’elle est devenue : une artiste d’une rigueur exemplaire, mais aussi une personne d’une grande réserve, ayant dû très tôt gérer la solitude du succès.
Son ascension se poursuit dans les années 50, mais c’est son arrivée à Paris en 1957 qui marque un tournant. La France l’adopte. Elle tombe amoureuse du pays, de sa culture, et de Claude Wolf, un publicitaire français qui deviendra son mari et son manager. Des succès comme “Chariot” la consacrent en Europe. Elle devient une star cosmopolite, chantant en français, allemand, italien, bien avant que cela ne soit courant.
Puis vient 1964. L’explosion. “Downtown”. La chanson, enregistrée à Londres, devient un phénomène mondial. Elle propulse Petula au sommet des classements américains, un exploit historique. Elle devient une icône pop planétaire, côtoyant les Beatles et Tom Jones. Mais cette gloire fulgurante a un coût. La pression est immense, les tournées épuisantes.

Pour survivre au “star-système”, Petula Clark fait un choix radical : elle protège farouchement sa vie privée. Son mariage avec Claude Wolf et l’éducation de leurs trois enfants deviennent son ancre. Leur maison en Suisse, à Corsier-sur-Vevey, au bord du lac Léman, devient son refuge, un “cocon loin des studios”. C’est là, loin de la folie, qu’elle cuisine, jardine, et surtout, qu’elle commence à se retrouver elle-même, loin de l’image publique. “J’ai chanté devant des millions de personnes,” dira-t-elle plus tard, “mais je ne me suis jamais vraiment écouté moi-même”.
Les années 80 marquent un retrait conscient. La vague disco déferle, mais Petula refuse de se “travestir artistiquement”. Elle choisit la sobriété, se tourne vers le théâtre musical, notamment à Broadway, où elle triomphe. C’est une renaissance. “Je n’ai plus rien à prouver, je veux juste être vraie”, confie-t-elle. Le public redécouvre une artiste d’une profondeur nouvelle, dont la voix, légèrement plus grave, porte désormais la lumière de l’expérience.
Le plus grand séisme de sa vie est silencieux. Après plus de 50 ans d’une vie commune discrète mais solide, son mari Claude Wolf disparaît. “Quand on a partagé la vie d’un homme pendant si longtemps, son absence devient comme une chanson qui ne finit jamais,” confie-t-elle avec une pudeur bouleversante. Seule, elle ne tombe pas dans la nostalgie morbide. Elle choisit de vivre.
Alors, comment vit Petula Clark aujourd’hui, à 92 ans ?
Sa vie est un mélange de discipline joyeuse et de spiritualité laïque. Elle partage son temps entre Londres et sa maison en Suisse, ce sanctuaire au bord du lac Léman. Chaque matin, son rituel est immuable. Elle se lève tôt, se promène longuement au bord du lac. “Je me parle à moi-même, je respire, je remercie la vie”, confie-t-elle. Les habitants la croisent, la saluent respectueusement. Elle n’est plus la star, elle est une voisine.

De retour chez elle, elle prépare un thé vert, lit le journal. Sa maison n’a rien d’une villa de star hollywoodienne ; c’est une demeure simple, remplie de livres, de partitions, et de souvenirs. La photo de son mari Claude reste son “talisman”. Physiquement, elle étonne. Elle marche encore sans canne, se tient droite. Son secret ? Une alimentation modérée, de la méditation quotidienne, des exercices de respiration, et un refus de la pitié. “Vieillir, c’est comme chanter une note plus grave, il faut juste s’y accorder”, dit-elle en riant.
Elle n’a jamais vraiment arrêté de chanter. Un piano trône toujours dans son salon. Parfois, elle s’assoit, ferme les yeux, et murmure d’anciennes mélodies. À 88 ans, elle a même enregistré un dernier album, “Vu d’ici”. “Quand je chante, je redeviens vivante. C’est ma manière de prier”, explique-t-elle.
Loin des réseaux sociaux, elle observe le monde moderne avec une bienveillance teintée de nostalgie. “On chante aujourd’hui pour être vu, pas pour être entendu. Moi, je chantais pour consoler”, analyse-t-elle. Elle met en garde la jeune génération contre la superficialité, leur conseillant de chercher la vérité dans l’art, pas la gloire.
Sa solitude n’est pas triste. C’est une solitude choisie, “presque sacrée”. Elle a appris à aimer le silence, à dialoguer avec ses souvenirs. Le soir, elle allume une bougie, écoute Piaf ou Trenet. Elle a trouvé la paix intérieure, ce qu’elle appelle “l’amour divin” après avoir perdu l’amour humain. Elle ne craint pas la mort. “J’ai peur d’oublier d’aimer avant”, dit-elle.
Petula Clark est bien plus que la chanteuse de “Downtown”. Elle est une philosophe de la vie, une icône de la résilience féminine qui a su imposer son style et sa dignité dans un monde d’hommes. Elle a traversé neuf décennies sans jamais se trahir, sans scandale, sans excès. Elle nous rappelle que la vraie gloire n’est pas dans le bruit, mais dans la fidélité à soi-même.
Aujourd’hui, à 92 ans, sa promenade matinale au bord du lac est sa “messe à elle”. Elle danse avec le temps, elle ne le combat plus. Et si sa voix n’a plus la clarté de ses 20 ans, elle porte quelque chose de bien plus précieux : la sagesse d’une vie entière. Elle est la preuve vivante que vieillir n’est pas une chute, mais une révélation.



