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LE DESTIN CRUEL DE DÉSIRLESS : SEULE UNE POIGNÉE D’EUROS PAR AN POUR LE TUBE PLANÉTAIRE « VOYAGE, VOYAGE »

En 1986, le monde entier a succombé à un son électronique, mystérieux et irrésistible, un appel lointain à l’évasion : Voyage, Voyage. Derrière ce phénomène planétaire se tenait une femme à l’allure androgynique et à la voix envoûtante, Désirless. De son vrai nom Claudie Fritsch-Mentrop, elle est devenue l’icône d’une génération, exportant l’esthétique française au-delà des frontières. Pourtant, l’histoire de Désirless est bien plus qu’un conte de fées musical ; c’est un récit poignant sur le prix de la célébrité, le sacrifice de la liberté artistique et la dure réalité financière d’une interprète. Aujourd’hui, plus de quatre décennies après le triomphe, elle révèle une vérité qui glace : le tube qui a fait sa gloire ne lui rapporte qu’une misère et l’a poussée à fuir une industrie qui l’a brisée. Loin du faste attendu, Désirless a choisi l’exil serein dans la Drôme, un havre de paix où elle se contente de l’essentiel, prouvant que la richesse véritable se trouve dans la liberté retrouvée.

 

I. De la Haute Couture à la Scène : La Naissance d’une Image Culte

 

L’histoire de Désirless ne commence pas sous les projecteurs, mais derrière les machines à coudre. Née en 1952, Claudie Fritsch-Mentrop a grandi dans un foyer modeste du Tréport, avec la mer et la nature pour horizon. Très tôt, elle développe une sensibilité artistique, qu’elle choisit d’abord d’exprimer à travers la mode. Dans les années 1970, elle étudie le design de mode au prestigieux Studio Berçot à Paris et travaille dans ce domaine pendant près de dix ans.

Cependant, c’est un voyage initiatique en Inde au début des années 1980 qui provoque un déclic décisif. Cette quête intérieure, cette confrontation avec l’ailleurs, lui insuffle l’urgence de s’exprimer par la musique. Elle intègre le groupe R89 pour deux ans avant de se lancer en solo, armée d’une vision artistique déjà très affirmée.

Son style visuel est peu conventionnel, une fusion audacieuse qui deviendra sa marque de fabrique. Coiffure déstructurée, tenues qu’elle crée elle-même, l’image de Désirless est androgyne, énigmatique et fascinante. Elle rencontre en 1984 le compositeur Jean-Michel Rivat, co-auteur avec Dominique Dubois d’une chanson intitulée Voyage, Voyage. Le titre, initialement refusé par Michel Delpech, atterrit entre les mains de Claudie. C’est Rivat qui, en façonnant son persona artistique, lui suggère le nom de Désirless, contribuant à créer l’icône inoubliable que nous connaissons. La fusion entre l’électronique mystérieuse de la musique et son interprétation passionnée crée une alchimie parfaite.

II. Le Phénomène Planétaire : Un Succès sans Lendemain

 

La sortie de Voyage, Voyage en 1986 est un raz-de-marée. Le titre transcende rapidement les frontières françaises, s’installant durablement en tête des hit-parades européens. Il atteint la première place des ventes en Allemagne, en Autriche, en Espagne et en Norvège, et se hisse dans le Top 10 au Royaume-Uni, en Suisse, en Israël, en Irlande, en Finlande et aux Pays-Bas. Le clip vidéo, réalisé par Betina Rimes, parachève l’esthétique sophistiquée et mystérieuse de la chanteuse.

Désirless est propulsée au statut de star internationale. Pourtant, ce succès fulgurant ne se reproduira jamais à la même échelle. Son deuxième single, John (1988), est salué par la critique, mais ne parvient pas à égaler l’impact du premier. L’album François, qui paraît finalement en 1989 et contient les deux hits, ne rencontre pas le succès commercial espéré.

C’est à ce moment que les tensions avec l’industrie musicale atteignent leur paroxysme. Désirless prend une décision radicale, préférant rompre avec sa maison de disques, quitte à sacrifier la poursuite d’une carrière commerciale de grande envergure.

 

III. La Faille du Système : 2 000 Euros pour un Tube Mondial

 

Le plus grand choc dans le récit de Désirless concerne la réalité financière derrière la gloire. La star internationale, l’icône vendue aux quatre coins du globe, révèle n’avoir jamais été l’auteure-compositrice du titre, une nuance lourde de conséquences dans l’industrie musicale. N’étant que l’interprète, ses droits d’auteur sont drastiquement limités par rapport à ceux des auteurs et compositeurs.

Dans une interview d’une franchise désarmante, elle met les pieds dans le plat : « Je survis en chantant Voyage, Voyage sur scène. Si j’en étais l’autrice, je serais très à l’aise. Mais je ne suis que l’interprète. »

La somme révélée est un crève-cœur pour ses fans : elle ne touche qu’environ 2 000 euros par an pour la chanson. Ce montant, dérisoire au regard de la fortune générée par le titre, est la dure illustration de la précarité qui peut frapper même les plus grandes stars du jour au lendemain, si elles ne détiennent pas les droits de leurs œuvres.

Cette situation l’a obligée à continuer à se produire, même sans le désir ardent de la célébrité. Elle a notamment révélé avoir participé au projet Stars 80 non pas par pure nostalgie, mais par nécessité : « J’ai accepté avant tout pour l’argent », avoue-t-elle sans détour. La gloire n’était qu’un mirage ; la survie, une réalité.

 

IV. L’Épuisement et la Quête de Liberté Artistique

 

Le divorce de Désirless avec le système était inéluctable. L’artiste, qui avait choisi un nom signifiant l’absence de désir matériel pour mieux embrasser sa liberté créative, s’est heurtée à un mur de béton industriel. Elle ne supportait plus les contraintes imposées par les dirigeants de maisons de disques.

Dans un entretien accordé à Paris Match, elle dénonçait cette nouvelle ère de l’industrie : « Les décideurs ne sont plus des amoureux de la musique. Ce sont des chefs qui imposent ce qui les arrange : l’image, les clips vidéos, les photos, le répertoire. Mais un véritable artiste a besoin de liberté. » C’est ce besoin viscéral de contrôle sur son art qui a motivé son retrait progressif de la scène commerciale.

Dans les années 1990, avec l’arrivée de sa fille, elle fait le choix radical de privilégier sa vie privée et sa sérénité. Elle quitte la région parisienne en 1995, ne supportant plus le stress de l’environnement urbain. Son amie, la chanteuse Slone, a témoigné de l’état d’épuisement de Désirless : « Elle était épuisée. […] Elle était à bout et elle a dit : ‘Ça suffit, il faut que je m’arrête.’ » C’était un sacrifice, un acte de survie, mais aussi une affirmation forte : Désirless voulait retrouver le contrôle de ses choix, quitte à renoncer au tapis rouge.

Elle a d’ailleurs toujours précisé qu’elle reviendrait sur scène, mais uniquement si elle en ressentait l’envie, transformant la musique d’une obligation en une pure passion.

 

V. La Renaissance dans la Drôme : Une Vie Simple et Colorée

 

Aujourd’hui, à plus de 70 ans, Désirless mène une existence en marge du show-business. Elle a trouvé son sanctuaire dans la campagne de la Drôme, un cadre idéal pour se ressourcer, loin du stress qui avait failli la consumer. Elle vit désormais une vie simple, proche de la nature.

Malgré son retrait du circuit commercial classique, elle n’a pas complètement abandonné la musique. Elle monte encore sur scène de temps à autre, participant à des galas ou des événements nostalgiques (plus de 200 concerts entre 2011 et 2018), pour le plaisir du partage et, avouons-le, pour le revenu indispensable que cela lui procure. Elle continue de produire elle-même ses albums en collaboration avec des amis, explorant des projets plus personnels, comme l’album Guillaume (2015), un hommage au poète Guillaume Apollinaire.

Son apparence a évolué, reflétant cette liberté retrouvée : tête rasée et robes colorées, elle conserve une énergie et une voix captivantes. La connexion avec son public demeure intacte à chaque interprétation de Voyage, Voyage, même si elle concède que cette chanson est devenue le pilier de sa survie financière.

Désirless est aujourd’hui une femme sereine, qui partage son quotidien sur les réseaux sociaux, pratique la méditation et cultive des instants de tranquillité. Elle a publié un livre en 2019, Jardin secret, et participe à des projets documentaires où elle partage sa philosophie du monde et de la vie.

Elle incarne une leçon essentielle : la célébrité n’est pas toujours synonyme de fortune, et la liberté artistique peut coûter cher. Désirless a échangé l’or de l’industrie contre l’air pur de la campagne et le contrôle de son propre destin. Sa survie est une preuve de persévérance et de fidélité à soi-même. Elle a beau avoir chanté sur les voyages lointains, c’est finalement le voyage intérieur, celui vers l’authenticité et la paix, qui a été le plus important de sa vie.

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