L’aveu à 75 ans qui change tout : Robert Plant, le Rock God et le secret de son enfance.
Par notre rédacteur en chef – Le 14 mai 2024
De la ferveur rugissante de Whole Lotta Love à l’éther méditatif de Stairway to Heaven, la voix de Robert Plant a défini le rock’n’roll pour des générations. Érigé en “Dieu du Rock” par le magazine Rolling Stone, son aura est celle de l’indomptable, du musicien à la crinière d’or qui survole les drames et le temps. Pourtant, à l’âge de 75 ans, un simple témoignage familial vient d’ébranler l’image monolithique de la star, confirmant ce que beaucoup avaient seulement deviné : derrière le mythe, il y a la résilience forgée par une enfance étonnamment heureuse.
Car le plus grand secret de la force de Robert Plant ne réside pas dans les excès de la célébrité, mais dans les racines profondes d’un foyer chaleureux, qui a jeté les bases d’une carrière qui allait connaître des sommets vertigineux, mais aussi des abîmes de souffrance humaine. Sa fille, Carmen, a récemment mis un mot sur cette vérité, permettant de relire la vie du chanteur de Led Zeppelin à travers le prisme de l’émotion brute, de la tragédie et d’une capacité à se relever qui force l’admiration.
Aux racines de la légende : l’influence d’Annie Celia
Né au cœur du “Black Country”, le centre industriel de Birmingham, l’enfance de Robert Plant fut marquée par la résilience de son environnement, encore marqué par les bombardements et la pollution. C’est dans ce décor âpre que sa personnalité fut modelée, non pas par la noirceur, mais par la lumière de sa mère, Annie Celia Plant, qu’il décrivait comme « convenablement et joyeusement combustible ».
Annie, forte de son héritage Romani, insufflait à la maison une atmosphère vibrante, emplie de musique et de mouvement. Plant, avec affection, se souvient de l’énergie contagieuse de sa mère, de ses chants et de ses danses, des moments qui emplissaient le foyer de joie. Elle fut sa première source d’inspiration, un socle de chaleur et de créativité dont l’empreinte est restée indélébile sur son art et sur ses célèbres boucles, héritées de la chevelure épaisse et indomptable de sa mère.
Le contraste était saisissant avec son père, également prénommé Robert, un ingénieur civil et vétéran de la Royal Air Force. Cet homme, ancré dans une vision plus conservatrice du monde, ne pouvait concevoir l’art comme une profession viable. Pour lui, l’avenir de son fils passait par la rigueur du monde des chiffres.

« Mon père appartenait à l’ère où les professions traditionnelles comme la comptabilité étaient valorisées par rapport aux poursuites artistiques », a confié Plant.
Ce fossé générationnel et culturel a d’abord poussé le jeune Robert à s’engager dans un programme de finance et de comptabilité. Mais la passion, cette flamme héritée d’Annie, était trop forte.
La rupture et la naissance d’un God
Dès son plus jeune âge, Robert Plant imitait Elvis Presley, se pavanant devant un miroir avec sa brosse à cheveux en guise de microphone. Son amour pour le blues l’a rapidement conduit au Seven Stars Blues Club à Stourbridge, où il s’est immergé dans les sons du Delta. Cette dévotion au blues a mis ses études au second plan, provoquant inévitablement des tensions croissantes avec ses parents.
Face à l’incompréhension et aux conflits grandissants, le futur Rock God prend une décision radicale : il quitte le foyer familial pour forger son propre chemin dans la musique. L’éloignement fut difficile, mais Plant confiera plus tard avoir finalement trouvé une réconciliation et une acceptation de ses parents au fur et à mesure que son étoile montait.
Le véritable coup d’envoi de sa carrière, bien que teinté de trac, eut lieu alors qu’il n’avait que 15 ans. Alors qu’il portait le matériel de son groupe, The Jurymen, il a dû remplacer au pied levé le chanteur malade lors d’un concert au Bull’s Head Pub. Malgré l’incapacité de regarder le public dans les yeux, sa performance fut “électrisante”, et propulsa sa voix vers la scène locale.
L’ascension fulgurante le mènera sur la route de Jimmy Page, qui cherchait un chanteur pour les New Yard Birds (qui allaient devenir Led Zeppelin). Recommandé par Terry Reid, Plant se retrouva face à des musiciens chevronnés, Page et John Paul Jones, dont il reconnut l’immense talent et la maturité.
« Nous nous sommes retrouvés aux côtés de John Paul Jones et Jimmy Page, qui étaient vraiment très accomplis, beaucoup plus matures. J’étais vraiment intimidé », a-t-il avoué.
Cette intimidation ne dura pas. Le jour du premier concert de Led Zeppelin sous leur nouveau nom au London Roundhouse, Plant épousait sa compagne, Moreen Wilson, celle qui l’avait soutenu financièrement à ses débuts, travaillant comme infirmière tandis qu’il courait après son rêve. Un nouveau chapitre s’ouvrait, l’âge d’or du rock, mais aussi l’ère des drames personnels.
La double tragédie qui a failli éteindre le Rock God
Alors que Led Zeppelin nageait en plein succès avec l’album Physical Graffiti, le destin frappa l’impensable. En vacances en Grèce, Robert Plant et sa famille furent victimes d’un grave accident de voiture. Les enfants s’en sortirent avec des blessures mineures, mais Plant et Moreen furent profondément touchés.
L’accident fut si terrible que Plant craignit de perdre sa femme. Grâce à l’immense fortune du groupe, Moreen fut transportée par avion privé médicalisé à Londres. Robert, lui, se retrouva dans un état physique et mental très précaire. Confiné à un fauteuil roulant pendant des mois, le chanteur fut contraint d’enregistrer l’album Presence depuis son confinement. C’est de cette épreuve qu’est né le titre Achilles Last Stand, surnommé à l’époque “The Wheelchair Song”.
Mais ce drame, s’il fut une épreuve de force, ne fut qu’un prélude à l’horreur.
Plus tard, alors que le groupe était en pleine tournée aux États-Unis, Robert Plant reçoit l’appel qui va changer sa vie à jamais : son fils de 5 ans, Karac Plant, est tombé malade d’un virus de l’estomac. Plus tard dans la journée, un autre appel apporta la nouvelle dévastatrice : Karac était décédé.
La perte de son fils bien-aimé fut un choc sismique pour le chanteur. Son père confia alors à l’Associated Press que Karac était « la prunelle des yeux de Robert ». Consumé par le chagrin, Plant se retira dans la ferme familiale, laissant le monde de la musique derrière lui.
« Il y a des priorités dans la vie au-delà du divertissement », a-t-il déclaré, exprimant son désir de quitter Led Zeppelin pour être auprès de sa famille en deuil.
C’est dans cette période sombre qu’il envisagea un changement de carrière total, cherchant un sens plus profond que l’égocentrisme du rock. Il pensa postuler pour un poste d’enseignant à l’école Rudolf Steiner Waldorf dans les West Midlands.
C’est là qu’intervint un ami indéfectible : John Bonham. Dans une anecdote poignante, Plant raconta s’être rendu au centre d’éducation Waldorf pour déposer sa candidature. Il fut intercepté à la grille par Bonham, arborant un béret de chauffeur et conduisant une Mercedes à six portes. Bonham l’emmena de force dans un pub voisin, refusant de laisser son ami abandonner. Inspiré par l’amitié et la conviction de Bonham, Plant choisit de rester, du moins pour un temps, avec Led Zeppelin.
L’adieu à Bonham et la renaissance solo

Ce retour ne fut malheureusement que de courte durée. La relation entre Plant et John Bonham transcendait l’amitié. Ils étaient frères, unis par leurs racines dans le Black Country et leur passion commune. Mais le destin frappa à nouveau : l’alcoolisme du batteur culmina dans une tragédie, Bonham mourut après avoir consommé 40 unités de vodka.
Pour Robert Plant, la perte de son ami d’enfance fut l’ultime coup de grâce. Led Zeppelin sans Bonham était « inconcevable ». Il a toujours maintenu cette conviction, refusant la reformation du groupe, même lorsque le fils de Bonham, Jason, participa à l’unique concert de retrouvailles.
« J’aimais beaucoup trop ton père », a-t-il répondu à Jason Bonham, scellant la fin du mythe Led Zeppelin par respect pour le défunt.
C’est grâce à un autre géant du rock que Plant a trouvé une nouvelle voie : Phil Collins. Bien qu’il y ait eu un moment de tension suite à la performance jugée « désastreuse » de Led Zeppelin à Live Aid, l’amitié entre les deux hommes était solide.
Après la dissolution de Led Zeppelin, Collins, admirateur du drumming de Bonham, encouragea Plant à se lancer en solo. Collins joua même de la batterie sur les deux premiers albums solo de Plant, Pictures at Eleven et Principle of Moments. Plant a exprimé sa profonde gratitude pour l’« encouragement positif et plein d’entrain » de Collins, qui l’a aidé à retrouver l’inspiration et la concentration en tant qu’artiste solo.
Le voyage éternel de la voix d’or
Tout au long de sa carrière solo, Robert Plant n’a cessé d’explorer, notamment la musique indienne et marocaine, une passion inspirée par sa fréquentation d’une famille gujarati près de chez lui. Cette fascination a donné lieu à des collaborations mémorables avec Jimmy Page, comme l’enregistrement à Bombay et le projet No Quarter, partiellement filmé au Maroc, imprégné des rythmes nord-africains.
Même sa voix, cet instrument iconique, a subi les assauts du temps et de la ferveur. Après une chirurgie pour enlever des nodules vocaux, il a reçu, plus tard, un diagnostic sombre d’un spécialiste londonien qui lui prédisait une perte vocale imminente. Plant a refusé d’accepter ce sort, s’inspirant d’autres artistes comme Elton John, pour se battre et préserver sa capacité à chanter. Son retour réussi, avec de nombreux albums à la clé, a démenti la prédiction.
Récemment, sa vie personnelle a connu de nouveaux tournants, notamment sa relation avec la musicienne Patty Griffin, qui l’a amené à déménager à Austin, Texas. Après leur rupture, il a choisi de revenir dans son pays natal, aux frontières galloises. Ce retour aux sources a profondément inspiré son album Lullaby and the Ceaseless Roar, qu’il a décrit comme une ode à la vie, à l’amour et au voyage imprévisible de l’existence.
L’histoire de Robert Plant est une mosaïque de succès inégalé et de drames dévastateurs. Mais l’aveu récent de sa fille ne fait que renforcer cette complexité : le “Rock God” qui a survécu à la mort de son fils, à un accident qui l’a brisé, et à la perte de son meilleur ami, a puisé sa force non pas dans la rage, mais dans la joie et la résilience cultivées dès l’enfance. C’est le témoignage vibrant d’un homme dont la vie, plus qu’une légende, est une leçon d’humanité.


