Dans un débat d’une franchise déconcertante, l’ingénieur et spécialiste de l’énergie Jean-Marc Jancovici a présenté une série d’arguments percutants, visant à « décoder » la peur persistante et souvent déformée du public français à l’égard de l’énergie nucléaire. Il affirme que le problème du nucléaire ne réside pas dans le « danger objectif », mais dans la « perception du risque » par le public, tout en critiquant fermement le rôle des médias et des politiciens dans le maintien de ces idées reçues.
Analyse de la Peur : Radiations et Instinct du « Petit Contre le Gros »
Jancovici commence par souligner la nature émotionnelle du débat sur le nucléaire :
Peur de l’Invisible : L’énergie nucléaire est un sujet technique, complexe, et implique la radioactivité — quelque chose d’invisible. Il soutient que les humains craindront toujours davantage ce qui est invisible que ce qui est visible (comme les accidents de voiture ou le tabagisme).
Dose de Radiation : Les rayonnements ionisants sont omniprésents (rayonnements cosmiques, telluriques, imagerie médicale). La question n’est pas de savoir si vous serez affecté, mais quelle est la dose admissible. Il révèle un fait marquant : Le personnel navigant aérien est en moyenne plus exposé aux radiations que les travailleurs de la filière nucléaire française, car ils sont régulièrement à 10 000 mètres d’altitude.
La Vérité sur les Accidents et la Sûreté Technique

Concernant le risque d’accident, Jancovici contredit fermement les arguments comparant les centrales françaises aux catastrophes historiques :
Fukushima : Se basant sur les rapports de l’UNSCEAR (Comité scientifique des Nations Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants), Jancovici affirme qu’aucun décès dû à un excès de rayonnement n’est attendu suite à la catastrophe de Fukushima. Au contraire, l’évacuation due au stress a causé des centaines de morts.
Tchernobyl et Réacteurs Français : Il explique que l’accident de Tchernobyl est dû au fait que le réacteur utilisait du graphite (provoquant un grand incendie) et ne possédait pas d’enceinte de confinement. Les centrales françaises sont conçues avec une enceinte de confinement, garantissant que même en cas de fusion du cœur (comme à Three Mile Island), la matière radioactive reste confinée à l’intérieur et ne se propage pas dans l’environnement.
Guerre et Terrorisme : Jancovici pose la question : en cas de conflit, la destruction d’autres infrastructures serait bien plus dangereuse. Il cite l’exemple de la rupture d’un barrage hydroélectrique (comme le barrage de Vouglans en France), qui provoquerait des inondations et des morts immédiates bien plus importantes que les dommages causés à une centrale nucléaire.
Déchets Nucléaires : Un Problème « de Deuxième Ordre »
L’argument des déchets, qui est souvent la plus grande peur du public, est minimisé par Jancovici :
Le Plus Ancien Stockage Naturel : Il évoque la mine d’uranium d’Oklo au Gabon, où, il y a deux milliards d’années, une réaction en chaîne naturelle s’est produite, créant des « déchets nucléaires » naturels. Ces déchets, et leurs produits de désintégration, sont restés là où ils ont été laissés.
Solution Technique : La solution pour les déchets modernes est simple : les enfouir à 450 mètres de profondeur dans des couches géologiques stables. Il note que la partie la plus radiotoxique a une durée de vie beaucoup plus courte que les 100 000 ans souvent cités, et que le niveau de radioactivité reviendra au niveau de l’uranium initial après seulement quelques siècles.
Comparaison des Risques : Jancovici déclare sans détour : comparé aux autres problèmes environnementaux comme le CO2, les pesticides et les particules fines, les déchets nucléaires sont un problème « de deuxième ordre » et « tout petit ».

Coûts et Crise de Compétence
Concernant le coût élevé et les retards des projets de réacteurs de nouvelle génération (EPR), Jancovici en attribue la faute à la structure du marché, et non à la technologie :
Problème Financier : Le coût élevé de centrales comme Hinkley Point C au Royaume-Uni (environ 100–150 €/MWh) est dû au modèle de financement privé (exigeant un rendement de 10 %). Si le projet était considéré comme une activité régalien et financé par l’État (à 2 % d’intérêt), le prix de l’électricité pourrait descendre à environ 50 €/MWh.
Crise de Compétence : Les retards et les dépassements de budget des projets EPR (comme Flamanville) sont dus au fait que la filière française a perdu ses compétences après 20 ans sans construction de réacteur. L’ingérence politique à court terme a rendu la gestion de la filière instable et a empêché le maintien de l’expertise.
Conclusion Finale : Prolonger l’Ère du Charbon
Jancovici conclut par un avertissement :
Les opposants au nucléaire, au niveau mondial, prolongent l’utilisation du charbon—la plus grande source d’émission de CO2. Le charbon est la cause principale du changement climatique, entraînant guerres, famines, émeutes et perte de biodiversité.
Bien que le nucléaire reste une industrie dangereuse (comme la chimie ou la conduite automobile), lorsqu’on additionne tous les risques pour la planète, Jancovici affirme : « Le nucléaire n’empêche pas de dormir. » Il estime que, tant que les cigarettes sont en vente libre, se focaliser sur le risque nucléaire est un gaspillage de ressources et d’attention.