News

Hervé Vilard à 79 ans : La renaissance secrète de l’idole, de l’abandon à la paix en Touraine

Nous sommes nombreux à pouvoir fredonner, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, cet air immortel : “Capri, c’est fini, et dire que c’était la ville de mon premier amour…” En 1965, un jeune homme aux yeux clairs et à la voix fragile, Hervé Vilard, devenait l’idole d’une génération. Des millions de disques vendus, des tournées mondiales, l’adoration des foules. Mais aujourd’hui, à 79 ans, que reste-t-il de cette gloire ? Loin du tumulte et des projecteurs, l’homme vit une existence que personne n’aurait pu soupçonner, une vie de silence, de pardon et de renaissance tranquille. Pour comprendre comment il vit aujourd’hui, il faut oser regarder derrière le mythe, et plonger dans l’histoire d’un homme qui, avant de chanter l’amour, a désespérément cherché à en recevoir.

La vie d’Hervé Vilard, né René Villard en 1946, ne commence pas comme un conte de fées, mais comme un drame de Zola. Dans la France de l’après-guerre, le petit René fait l’expérience la plus brutale qui soit : celle de l’abandon. Son père le quitte. Sa mère, souffrant de troubles psychiques, est internée. Le voilà seul au monde, “enfant de personne”, ballotté d’institutions en foyers, d’orphelinats en maisons religieuses. Il connaîtra le froid, la faim, l’humiliation, l’indifférence. “Je n’avais pas de famille, pas de nom, pas d’endroit où me réfugier”, confiera-t-il bien plus tard dans son autobiographie. Cette blessure originelle, ce vide abyssal, aurait pu le détruire. Il va en faire le moteur de sa vie.

C’est dans les couloirs froids de ces institutions que le petit René trouve une échappatoire, un refuge : la musique. Il n’a ni jouets ni amis, mais il a une voix. Une voix à la fois puissante et fêlée, une voix qui porte déjà toute la douleur et l’espoir du monde. Il chante aux messes du dimanche, dans les kermesses. Chaque note est un cri : “Je suis là, ne m’oubliez pas”. La musique n’est pas un art, c’est une survie. À 15 ans, il n’y tient plus. Il quitte tout, sans un sou en poche, et “monte” à Paris avec un seul rêve, une seule obsession : chanter pour exister.

Le Paris des années 60 est en pleine ébullition. C’est l’époque des yéyés, de Johnny, Sylvie et Françoise. Un soir, dans un petit cabaret du Quartier Latin, le destin frappe à la porte. Un producteur entend ce jeune homme aux yeux clairs interpréter “Les Portes de Saint-Malo”. Il est ému aux larmes. Il lui offre un contrat, un studio, un avenir. Quelques mois plus tard, la France découvre “Capri c’est fini”. Le succès est instantané, phénoménal. Vendu à plus de deux millions d’exemplaires, le disque propulse l’orphelin de personne au rang d’idole absolue. Il devient le symbole de cette jeunesse romantique et mélancolique.

Commencent alors les années de gloire. L’Olympia, le Casino de Paris, les tournées en Amérique Latine où il devient une star. Il chante en espagnol, en italien, il est l’ambassadeur de la chanson française. Mais derrière le sourire impeccable et les costumes élégants, l’homme reste rongé par le vide. La gloire a un prix terrible : la solitude. Dans une phrase qui résume le drame de sa vie, il avouera : “Le public m’aimait, mais je ne m’aimais pas moi-même”. Le soir, après les applaudissements, quand il rentre seul dans sa chambre d’hôtel, il ne voit dans le miroir que l’enfant abandonné qu’il n’a jamais cessé d’être. Il ne chantait pas pour plaire, il chantait pour survivre.

Les années 80 marquent un tournant. La musique change, les modes passent, les médias se tournent vers d’autres visages. Hervé Vilard, lui, refuse de tricher. Il ne veut pas céder aux artifices. Il préfère s’éloigner, prendre du recul. Il publie un premier livre, “L’âme seule”, où il raconte son enfance, ses blessures. Le public découvre un autre homme, un intellectuel, un poète. C’est aussi à cette période qu’il s’engage, discrètement, sans caméras, pour les causes sociales, notamment les foyers pour enfants abandonnés. Il sait trop bien ce que signifie avoir faim d’amour.

Et aujourd’hui ? Que devient Hervé Vilard ? À 79 ans, il vit loin, très loin du tumulte des projecteurs. Il s’est retiré dans une maison discrète en Touraine, sur les bords de la Loire. Sa maison n’a rien d’un palais. Il l’a voulue comme un “monastère laïc”, un lieu de paix et de méditation. Pas de luxe tapageur, pas de disques d’or aux murs. Seulement des livres, des disques, et le silence.

C’est là, dans ce qu’il appelle sa “renaissance tranquille”, qu’il a enfin trouvé ce que la gloire ne lui avait jamais donné : la paix. Il vit seul, mais pas dans la tristesse. Chaque matin, il ouvre ses volets sur un jardin qu’il cultive lui-même. Il parle aux fleurs, aux arbres. “La terre me comprend mieux que les hommes”, dit-il. Il écoute de vieux vinyles de Barbara, de Ferré, de Trenet. Il lit énormément : Rimbaud, Colette, Hugo. Et il écrit. Des poèmes, des réflexions, dans des carnets noirs qu’il garde précieusement.

Ce silence, qu’il a si longtemps redouté dans sa jeunesse, est devenu son meilleur allié. C’est dans ce silence qu’il s’est réconcilié avec ses fantômes. Il n’a plus honte de son enfance, de ses failles. Il a pardonné. À son père absent, à sa mère malade. “Elle était malade, pas mauvaise”, dit-il avec tendresse. Il a même trouvé une forme de foi, une foi personnelle, loin des dogmes de l’Église qui lui rappelait les foyers austères. Une foi faite de gratitude envers la vie.

Sa vie amoureuse, tumultueuse, où il a aimé des hommes et des femmes, s’est elle aussi apaisée. Il ne cherche plus la passion dévorante, mais la tendresse. Il n’a jamais fondé de famille traditionnelle, mais il a eu, dit-il, “mille familles de cœur”.

A-t-il renoncé à l’art ? Non, jamais. Hervé Vilard n’a jamais cessé de créer. Il y a un vieux piano droit chez lui. Parfois, il s’assoit, ferme les yeux et chante. Non plus pour un public, mais “pour les absents”. Pour Dalida, son amie, sa confidente, dont le suicide l’a marqué à jamais. Pour Aznavour, pour Barbara. Il compose des mélodies, des textes, qu’il ne montrera à personne. L’art n’a pas besoin d’être vu pour exister.

La vieillesse, pour lui, n’est pas une tragédie. C’est une récompense. Il regarde son visage ridé sans crainte. “Le temps a écrit pour moi”, dit-il. Il s’est débarrassé de l’obligation de plaire. Il s’est trouvé lui-même. Il a pardonné à tous, et surtout, le plus difficile, il s’est pardonné à lui-même.

Aujourd’hui, il vit dans une sobriété élégante. Il fait ses courses au village, discute avec les commerçants. Certains ne le reconnaissent même pas, et cela le fait sourire. “C’est beau d’être redevenu anonyme. La célébrité est une cage dorée. J’ai enfin la clé”. Il reçoit encore des lettres de fans du monde entier, des gens qui lui disent comment ses chansons ont accompagné leurs amours. Il répond à plusieurs d’entre eux, à la main.

La vie d’Hervé Vilard est une leçon de résilience. Il prouve qu’on peut naître dans la nuit la plus totale et devenir une lumière pour les autres. Il ne cherche plus à être une légende, il se contente d’être un homme. Et c’est peut-être là, enfin, son plus grand triomphe. Il a eu mal, il a eu peur, mais il a aimé. Et comme il le dit lui-même : “J’ai passé ma vie à chercher l’amour des autres. Aujourd’hui, j’ai trouvé le mien”. Et en regardant le coucher de soleil sur la Loire, il murmure, apaisé : “La vie, malgré tout, valait la peine”.

Related Articles

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Back to top button