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L’Alerte Rouge de Jancovici : Nos Mégapoles Sont Condamnées.

La réalité est un seau d’eau froide jeté sur nos illusions urbaines. Alors que des millions d’êtres humains continuent d’affluer vers les lumières des grandes cités, pensant y trouver l’abondance et l’avenir, le verdict de l’expert en énergie le plus écouté de France, Jean-Marc Jancovici, est sans appel et terrifiant : nos mégapoles actuelles ne sont pas viables. Dans un monde où l’énergie fossile, le sang noir de notre civilisation, se contracte, les géants de béton et d’acier qui nous servent de métropoles sont en réalité de gigantesques constructions sur sable mouvant.

Ce n’est pas une prédiction futuriste de science-fiction, mais une analyse froide et brutale basée sur les lois de la physique et de l’histoire. La menace n’est pas l’invasion ou la catastrophe naturelle, mais l’étranglement progressif de ce qui est le plus fondamental à la vie en ville : la nourriture qui arrive dans nos assiettes. Jancovici déconstruit la chaîne logistique mondiale, révélant la vulnérabilité abyssale de nos centres urbains face à la décrue énergétique. Une décrue qui ne sera ni un choix, ni une option, mais une contrainte physique inéluctable.

 

Le Paradoxe de la Mégapole Moderne : Une Dépendance Mortelle

 

Pendant des siècles, la taille d’une ville était directement proportionnelle à sa capacité à se nourrir. C’est le point de départ de l’analyse historique de Jancovici. Avant l’ère de l’énergie abondante, des moyens de conservation faciles et de la productivité agricole actuelle, une ville ne pouvait subsister que grâce au surplus agricole dégagé par la surface alentour, accessible en quelques jours de transport.

Imaginez l’Europe à la Renaissance : la charrette à bœuf, la barque fluviale, ou le porteur humain. Leur vitesse n’était jamais très rapide, et la conservation des aliments, un défi constant. C’est pourquoi, même la fière Paris, avec ses terres extrêmement fertiles de Picardie et de Beauce, et son excellent réseau fluvial, n’était à l’époque que la plus grande ville d’Europe avec seulement quelques centaines de milliers d’habitants (200 000 à 300 000). Les villes étaient plus petites partout ailleurs, limitées par ce que l’énergie musculaire et la géographie locale permettaient.

Aujourd’hui, l’Île-de-France et les autres mégapoles ont explosé. Pourquoi ? Parce que le concept de “quelques jours de temps de transport” s’est transformé pour englober… la planète entière.

L’Illusion du Festin Mondial

 

Notre civilisation a fait sauter toutes les contraintes historiques grâce aux énergies fossiles. Elles nous ont fourni le carburant pour deux révolutions simultanées :

  1. La Révolution Logistique : L’avion, mais surtout les navires de fort tonnage, et le camion, ont rendu possible le transport d’aliments sur des milliers de kilomètres. Plus important encore, les technologies comme la réfrigération, la déshydratation, et la mise en conserve, également basées sur un apport énergétique constant, ont permis de conserver les aliments pendant des semaines, voire des mois.
  2. La Révolution Agricole : Le surplus agricole mondial a été boosté de façon colossale. Ce surplus, c’est ce qui permet à une population non paysanne (par exemple, les gens qui font ChatGPT, comme le mentionne Jancovici) de vivre en ville et de manger à leur faim. Mais ce miracle est totalement fossile :
  3. Les engrais : Leur fabrication est extrêmement gourmande en gaz naturel.
  4. Les pesticides : Issus de la pétrochimie.
  5. La mécanisation : Les tracteurs et moissonneuses-batteuses roulent au diesel.

Le citadin moderne ne mange plus ce qui pousse en Beauce, mais ce qui est produit par un système mondialisé, fertilisé par le gaz russe, récolté par une machine américaine, et transporté par un bateau chinois alimenté au pétrole saoudien. C’est cette interconnexion, cette mondialisation totale de l’assiette, qui rend la mégapole actuelle extraordinairement fragile.

 

Le Point de Rupture : Navires et Camions

 

La menace la plus immédiate et la plus difficile à surmonter est celle du transport maritime. Jancovici pointe du doigt le goulot d’étranglement de la chaîne logistique : les camions et les bateaux.

Le monde compte 12 000 bateaux de fort tonnage (sans compter les pétroliers) qui assurent l’essentiel du commerce mondial, y compris les denrées agricoles. Face à la diminution du pétrole, la solution de l’électrification ou de la voile est une chimère :

  • La voile est impossible pour un bateau de 300 000 tonnes.
  • La nucléarisation est techniquement possible, mais elle nécessiterait 12 000 chaudières nucléaires. Un projet que l’on ne peut pas réaliser en 30 ans, même en ne faisant que cela jour et nuit.
  • Par conséquent, l’arrêt, ou même la contraction significative, de l’approvisionnement en pétrole signifierait l’arrêt progressif de la mondialisation et, par ricochet, la mort lente de la capacité d’approvisionnement des mégapoles. Que feront les habitants de l’Île-de-France quand la planète entière cessera d’être à quelques “semaines de transport” ? La pression climatique sur les rendements agricoles n’ajoutera qu’une difficulté supplémentaire, un stress croissant qui va s’exprimer de manière imprévisible.

     

    La Folie du Court Terme : Le Fiasco de Saclay

    Cette analyse prend une tournure particulièrement cinglante lorsqu’elle est appliquée aux décisions politiques récentes. Jancovici cite l’exemple de l’urbanisation du plateau de Saclay en Île-de-France, contre laquelle il s’était élevé.

    C’est un double scandale :

    1. Le gaspillage de ressources vitales : Le plateau de Saclay abritait, selon l’expert, les meilleures terres arables d’Europe. Gaspiller des terres agricoles d’une telle qualité pour y installer des bureaux et des universités est un acte de courte vue historique, une hérésie dans un monde où nous allons avoir un besoin crucial de ces mêmes terres pour nous nourrir plus tard.
    2. L’aggravation du problème : L’Île-de-France est déjà trop grosse par rapport à ses possibilités d’approvisionnement dans un futur monde sobre en énergie. La faire grossir encore plus, par l’urbanisation de Saclay, est une erreur stratégique monumentale.

    Pour Jancovici, la seule voie de la résilience urbaine aurait été la décentralisation : plutôt que de tout concentrer autour de Paris, il aurait été bien plus pertinent de délocaliser ces infrastructures à Cahors ou Valenciennes. C’est une critique acerbe des «braves politiques qui réfléchissent à quelques années» alors que le pas de temps de l’aménagement urbain est le siècle. Ils ne voient absolument pas venir ce genre de coup.

     

    La Leçon de Rome : L’Exception qui Confirme la Règle

     

    Pour souligner à quel point le gigantisme urbain est une aberration historique sans énergie abondante, Jancovici rappelle l’unique exception de l’Antiquité : Rome.

    La capitale de l’Empire romain est la seule ville antique à avoir pu atteindre un million d’habitants. Ce n’était pas un miracle, mais une astuce géographique unique au monde : Rome avait la possibilité d’être desservie par bateau via l’Égypte. L’Égypte n’était pas juste un pays, mais un “champ” de milliers de kilomètres de long, entièrement desservi par voie fluviale, permettant de drainer la totalité de la production agricole vers un seul port. La préservation du blé et de l’huile contre l’humidité était possible grâce au transport maritime, un luxe logistique inaccessible à toute autre ville de l’époque où l’énergie était rare et chère.

    Cette exception souligne que, même avec la puissance d’un empire, il fallait une configuration géopolitique et géographique quasi divine pour soutenir un million d’âmes. L’idée que l’on puisse soutenir aujourd’hui 10 millions d’habitants à Paris, ou 20 millions à Tokyo, en détruisant les terres agricoles avoisinantes, sans avoir une “Égypte” à portée de main, relève de l’aveuglement le plus total.

     

    Conclusion : Un Stress Croissant, une Réflexion Urgente

     

    Le message est clair : dans un monde à l’énergie contractée, les mégapoles vont vivre une vie de plus en plus difficile. Ce ne sera pas nécessairement la famine immédiate, mais un basculement brutal des régimes alimentaires (passer du bœuf et du poulet au riz et au pain, voire pire).

    Le stress croissant sera à gérer à une échelle de temps – le siècle – que nos dirigeants et nos modèles d’aménagement ignorent totalement. L’urgence n’est donc pas seulement climatique ou énergétique, elle est géographique et démographique. L’avenir des populations urbaines, concentrées dans ces géants aux pieds d’argile, dépendra de notre capacité à intégrer cette réalité physique : la nourriture n’arrive pas par magie, elle arrive par pétrole.

    La question n’est plus “si” mais “quand et comment” ce stress va s’exprimer. L’alerte de Jancovici n’est pas un appel à l’immobilisme, mais un puissant cri pour une décentralisation massive et urgente, pour la relocalisation de la production agricole, et pour un réveil brutal face à la fin de l’abondance fossile. L’avenir de millions de nos concitoyens en dépend.

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