Le Piège Inversé : Quand Bardella Cloue Duhamel et Impose son Récit Choc sur BFM
Les plateaux de télévision politique en France sont devenus des arènes modernes. Ce ne sont plus de simples lieux d’information, mais des rings où chaque mot est une arme, chaque silence une stratégie, et chaque interview un combat pour le contrôle du récit. Dans ce sport de haute tension, certains affrontements deviennent instantanément viraux, non pas pour la profondeur de l’échange, mais pour la brutalité de la tactique. L’échange récent sur BFM TV entre le journaliste Benjamin Duhamel et le président du Rassemblement National, Jordan Bardella, est un cas d’école. C’est l’histoire d’un piège tendu avec précision, et d’un retournement de situation si violent qu’il a laissé l’intervieweur “chao” et a imposé les thèmes les plus durs de l’extrême droite au centre du débat.
Nous sommes sur BFM, l’une des chaînes d’information en continu les plus regardées, connue pour ses interviews incisives. Benjamin Duhamel, journaliste au nom prestigieux, réputé pour sa préparation méticuleuse, fait face à Jordan Bardella, le visage de la “dédiabolisation” du RN, à la communication lisse et contrôlée. Le décor est planté. Duhamel pense avoir l’arme ultime pour fissurer le vernis du jeune leader : le passé. C’est l’angle d’attaque classique, le péché originel du parti : la figure de Jean-Marie Le Pen, les dérapages, l’héritage. L’attaque est “directe, précise”, sur un sujet “très sensible”. Le piège est tendu, visible, attendu.
Mais Bardella, rompu à cet exercice, ne tombe pas dedans. Il ne se défend pas, il ne nie pas, il n’argumente pas sur son propre terrain miné. Il contre-attaque. Et il le fait en déplaçant la bataille sur le terrain de l’adversaire. La “riposte” est immédiate. Puisque Duhamel veut parler d’histoire, parlons d’histoire. Bardella ne vise plus le journaliste, il vise le Parti Socialiste, pilier historique de la gauche française. Il exhume “le passé de François Mitterrand et son lien avec le maréchal Pétain”.

Le choc est instantané. En une phrase, Bardella vient de briser le cadre de l’interview. Il rappelle à la France que Mitterrand, icône de la gauche, a reçu la Francisque, décoration du régime de Vichy. Il sous-entend que la gauche, si prompte à donner des leçons de morale, a ses propres fantômes, ses propres ambiguïtés avec la période la plus sombre de l’histoire de France. La tactique est d’une efficacité redoutable : elle ne blanchit pas le RN, mais elle salit l’accusateur. Elle crée une équivalence morale, un “tous pourris” historique qui neutralise l’attaque initiale. Le piège, comme le note le commentateur, “vient de se retourner”. Duhamel, qui voulait parler de Le Pen, se retrouve à devoir (ou non) défendre Mitterrand. Il est déstabilisé.
Mais Bardella n’a pas fini. Il sent l’avantage. Le journaliste est déjà sonné, “chao”. Le président du RN change alors de cible et lance une “deuxième roquette”. Après le passé du PS, il attaque le présent de La France Insoumise (LFI), évoquant Jean-Luc Mélenchon et les accusant de “complaisance” (probablement sur l’islamisme ou l’antisémitisme, ses angles d’attaque habituels). En moins de deux minutes, le plan de Duhamel a volé en éclats. Le passé sulfureux du RN a été “oublié”. Le débat, que Bardella subissait, est devenu un débat qu’il mène. Il porte désormais sur “le passé du PS et les positions de LFI”. C’est un “échec et mat” rhétorique.
C’est à ce moment précis, ayant pris le contrôle total de l’échange, que Jordan Bardella pivote vers son véritable objectif. Il n’a pas seulement évité un piège ; il a créé une ouverture pour imposer ses propres thèmes, bien plus durs, bien plus actuels que l’histoire des années 40 ou 80. Le débat glisse vers l’immigration et l’insécurité, son terrain de prédilection.
Et là, le ton change. Le Bardella calme et tacticien laisse place au Bardella idéologue. Il lâche un terme lourd de sens : “Français de papier”. Cette expression, issue du lexique nationaliste le plus dur, vise à différencier les “vrais” Français (de souche, par le sang) des Français naturalisés (par le droit, par le “papier”). C’est une rhétorique de la division, qui fracture le corps civique en deux catégories. Il décrit ces “Français de papier” comme des individus qui seraient “sur notre sol” mais qui “veulent tuer des blancs”, “détestent la France” et “détestent les Français”.

L’escalade est vertigineuse. Nous sommes passés d’un débat historique sur Le Pen et Mitterrand à une accusation d’une violence inouïe, portée en direct. Bardella racialise le débat de manière explicite. Il ne parle plus de délinquance, il parle de haine raciale anti-blanche. Il enfonce le clou en décrivant ces individus comme des “multirécidivistes” qui vivent “au crochet du contribuable”. Tous les marqueurs de l’extrême droite sont cochés en une seule phrase : l’immigration, la haine de la France, la violence raciale, la fraude sociale.
Le journaliste, sans doute encore sous le choc du premier échange, tente une faible relance, suggérant qu’il s’agit peut-être d’un “sujet d’intégration plus que d’immigration”. Bardella balaie l’objection. “Bah non”, rétorque-t-il, “c’est aussi un sujet d’immigration”. Et c’est là qu’il assène la phrase la plus brutale de l’échange, celle qui fait sauter tous les verrous de la “dédiabolisation”.
“Parce que”, dit-il, “s’ils veulent tuer du blanc, c’est que j’en conclus qu’ils sont pas blancs.”
La phrase est lâchée. Calme, presque logique dans son esprit. C’est une conclusion d’une simplicité terrible qui érige la couleur de peau en marqueur définitif de l’identité et de l’antagonisme. Il ne s’agit plus de “Français” contre “étrangers”, ni même de “patriotes” contre “islamistes”. Il s’agit, selon lui, de “blancs” contre “non-blancs”. En une phrase, Jordan Bardella, le gendre idéal supposé lisser l’image du parti, vient de réaffirmer la grille de lecture racialiste qui fut celle du Front National historique.
Cet échange est fondamental pour comprendre la stratégie du RN version 2025. Il y a une dualité parfaite. D’un côté, une maîtrise rhétorique impeccable, une capacité à déjouer les pièges médiatiques, à inverser les rôles, à se montrer plus “malin” que les journalistes parisiens. C’est le visage de la normalisation, celui qui séduit au-delà du cercle militant.
De l’autre, une fois le contrôle acquis, c’est l’expression du fond idéologique le plus dur. La “dédiabolisation” est une stratégie de communication, pas un renoncement idéologique. Bardella a montré qu’il pouvait être aussi habile que Mitterrand et aussi brutal que Le Pen, parfois dans la même minute. Il a “cloué” le journaliste, non pas avec un “mot qui n’existe pas” comme le suggère le titre de la vidéo source, mais avec une série de coups rhétoriques et une affirmation idéologique d’une brutalité qui a laissé son interlocuteur sans voix. Le “ring” n’avait “pas de gant”, juste des “K.O.”



