Suicide du Fils de Jean Marais : La Fortune, la Solitude et la Blessure Mortelle de la Trahison
Dans le panthéon des géants du cinéma français, le nom de Jean Marais brille d’un éclat singulier. L’acteur fétiche de Cocteau, le héros de cape et d’épée, le Fantômas au visage de bronze, est une légende. Sa vie, marquée par son talent immense, son histoire d’amour mythique et son homosexualité assumée à une époque où cela relevait de la bravoure, est connue de tous. Mais comme toute lumière éclatante, celle de Jean Marais projetait une ombre. Une ombre longue et tragique dans laquelle un homme s’est débattu toute sa vie avant d’y être englouti : son fils adoptif, Serge Villain-Marais.

L’histoire de Serge Ayala, devenu Serge Villain-Marais, est celle d’un homme qui a tout eu, sauf l’essentiel. Adopté par une icône, il a grandi dans l’opulence et la célébrité. Il a tenté d’exister par lui-même, s’essayant à une carrière de jockey, puis de chanteur dans l’effervescence des années 60. Il a même partagé l’affiche avec son père en 1967 dans un film au titre presque prémonitoire : “Cet homme est une garce”. Mais comment se faire un prénom quand votre nom est déjà une légende ?
Le poids de l’héritage n’est pas seulement symbolique. Il est le cœur du drame qui va sceller le destin de Serge. Jean Marais, l’homme qu’il appelait “papa”, a commis l’irréparable. Quelques années avant sa mort, l’acteur, dans un geste qui reste un mystère insondable, a décidé de rayer son fils de sa vie matérielle. Il a fait d’une de ses amies, Nicole Pasquali, la légataire universelle de ses biens. Pour Serge, le coup a dû être d’une violence inouïe. Ce n’était pas seulement une question d’argent ; c’était un reniement. Une trahison publique.
Commence alors une bataille judiciaire longue et douloureuse. Un combat de “plusieurs années” pour récupérer ce qui lui revenait de droit. Serge, le fils adoptif, se bat contre les dernières volontés de son père. Il se bat contre le fantôme de l’homme qu’il a admiré, peut-être craint, et sûrement aimé. Et, au terme de cette épreuve, il gagne. La justice lui donne raison. Serge Villain-Marais hérite de la fortune de son père.
Pour le monde extérieur, l’histoire aurait dû s’arrêter là. Le fils bafoué avait lavé son honneur et récupéré son dû. Son meilleur ami, Guy Balensi, confiait même à France Dimanche : “Depuis qu’il avait touché l’argent qui lui revenait, je pensais qu’il était sauvé.”
Mais il n’y a pas de “sauvetage” possible quand la blessure est si profonde. L’argent, si abondant soit-il, ne pouvait pas acheter la paix de l’âme. La “blessure”, comme l’a confirmé son ami, “était toujours intacte”. Le tribunal avait rendu un jugement, mais il n’avait pas effacé la trahison. Il n’avait pas guéri la plaie béante laissée par ce père qui, à l’aube de sa mort, avait voulu le déshériter.
C’est là que le véritable drame de Serge commence. Le combat judiciaire était terminé, mais la guerre intérieure faisait rage. La fortune n’a fait que mettre en lumière le vide abyssal de son existence. Guy Balensi décrit un homme tragiquement seul. “Il souffrait énormément de la solitude, malgré notre présence.”

L’image est déchirante : un homme de près de 70 ans, héritier d’une fortune considérable, vivant “seul avec ses quatre chiens dans un pavillon isolé”. La richesse avait construit des murs, pas des ponts. Elle l’avait isolé, peut-être plus encore qu’auparavant. Cette solitude était devenue son unique compagne, une geôle dorée dont il ne parvenait pas à s’échapper.
Pourtant, il avait un rêve. Un seul, simple et désespéré : “Son seul souhait aurait été de rencontrer une femme et de recréer une famille.” Lui qui avait été adopté, puis renié par sa famille, ne rêvait que de cela : bâtir un foyer. Un lieu à lui, qui ne serait pas hérité, mais construit par l’amour. Un antidote à sa solitude. Mais ce souhait ne s’est jamais réalisé.
L’argent ne pouvait rien contre le véritable héritage de Jean Marais. Un héritage toxique. Le véritable legs n’était pas les biens matériels, mais “une sorte de dépression dont il n’est jamais véritablement sorti”. Cette dépression, née du jour où il a compris que son père avait voulu l’effacer, a été la véritable compagne de ses dernières années.
En février 2012, Serge Villain-Marais, près de 70 ans, a mis fin à cette souffrance. Il a pris un fusil de chasse et s’est donné la mort. Un acte final, violent, qui mettait un terme à une vie passée dans l’ombre d’un géant, une vie de combat pour une reconnaissance qui, même gagnée devant les hommes, lui avait été refusée par la seule personne dont il l’attendait. Il est mort riche, mais seul, emportant avec lui la blessure mortelle d’un fils qui n’avait jamais pu digérer le fait que son propre père l’ait, un jour, considéré comme un déshérité.


